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17 JUIN 2025
POURQUOI CONFIER NOTRE AVENIR ÉNERGÉTIQUE À UN OPÉRATEUR QUI N’EST PAS INDIFFÉRENT AUX CHOIX RETENUS ?
La planification énergétique engage des choix de société majeurs : comment nous vivrons, nous déplacerons, chaufferons nos logements ou ferons tourner nos usines dans les décennies à venir.
Or aujourd’hui, ces choix sont en grande partie orientés par un seul acteur : RTE, le gestionnaire du réseau électrique national.
Ce même acteur élabore les scénarios d’avenir… et réalise les infrastructures qui en découlent.
Ce mélange des rôles pose une question démocratique fondamentale : peut-on confier à un opérateur industriel le pouvoir d’écrire notre futur énergétique, sans véritable débat contradictoire, sans alternative institutionnelle, sans contre-pouvoir structuré ?
Ce sujet touche au cœur de notre souveraineté, de notre résilience, et de notre capacité à faire des choix collectifs éclairés dans un monde en transition.
En tant que service public en monopole régulé, RTE agit dans un cadre défini par la loi et sous la supervision de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Son activité est financée par le Tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE). RTE est responsable de l’exploitation, de l’entretien et du développement des quelque 100 000 kilomètres de lignes à haute et très haute tension qui constituent l’ossature du système électrique français. Cela inclut la construction de nouvelles lignes, mais aussi le renforcement et la modernisation du réseau existant pour le rendre plus résilient, plus numérique et mieux adapté à la montée en puissance des énergies renouvelables.
L’entreprise joue également un rôle stratégique dans la transition énergétique. Elle élabore des scénarios d’évolution du mix énergétique et anticipe les besoins futurs, en investissant massivement dans les interconnexions avec les pays voisins – comme les projets avec l’Italie, l’Espagne ou le Royaume-Uni – et dans la préparation de l’électrification croissante des usages (mobilité électrique, pompes à chaleur, industrie décarbonée, etc.). À l’horizon 2040, RTE prévoit ainsi d’investir environ 100 milliards d’euros pour adapter le réseau aux nouveaux enjeux climatiques et technologiques.
RTE concentre les rôles de planificateur et de maître d’ouvrage, ce qui pose un problème de partialité dans l’orientation des scénarios énergétiques selon la Fédération Environnement Durable (2024, Fédération Environnement Durable, Avis sur la planification énergétique nationale).
Les prévisions de RTE anticipent une demande électrique de 752 TWh en 2050, soit +59 % par rapport à 2019, ce qui légitime des investissements massifs selon certains analystes (2024, GreenUnivers, La demande électrique fragilise les scénarios de RTE).
L’autoconsommation solaire est très sous-évaluée dans les prévisions RTE : seulement 0,13 GW prévus, contre 5 GW déjà installés en toiture en 2020 (2020, RTE, SDDR 2019 – Chapitre 11, L’autoconsommation).
L’autoproduction d’électricité fait baisser les flux sur le réseau, donc les recettes de transport, ce qui réduit l’intérêt économique du modèle actuel pour RTE (2023, RTE, Autoconsommation : remède à la crise énergétique ?).
RTE prévoit 100 milliards d’euros d’investissements dans le réseau à l’horizon 2040 selon ses propres scénarios, sans évaluation contradictoire (2024, Gardiens du Large, Consultation sur les investissements RTE 2040).
Les scénarios RTE mettent davantage l’accent sur l’augmentation de la production que sur la sobriété énergétique, pourtant cruciale pour la neutralité carbone (2023, Public Sénat, La consommation d’énergie, grande absente du débat sur la neutralité).
Plusieurs dirigeants de RTE sont issus du monde politique, ce qui alimente les soupçons de continuité d’intérêts avec les pouvoirs publics et EDF (2024, Wikipédia, François Brottes).
Des ONG dénoncent un conflit d’intérêt manifeste entre RTE, Enedis et EDF, soulignant le manque d’indépendance des projections énergétiques nationales (2024, Actu-Environnement, ONG : les projections de RTE sous influence).
On fait comme si le futur se déduisait des données. Comme s’il n’y avait qu’à prolonger les courbes, additionner des mégawatts, modéliser des profils de consommation et en déduire la trajectoire nationale. Mais la planification énergétique, ce n’est pas un algorithme. C’est un choix collectif. Un choix qui engage nos modes de vie, nos villes, nos usages, nos solidarités territoriales.
RTE pense réseau. Flux. Tension. Sécurité. Et c’est bien normal. Mais qui pense autonomie locale ? Qui pense décroissance énergétique ? Qui pense limitation structurelle du transport d’électricité à très longue distance ? Ces idées sont absentes non parce qu’elles sont absurdes, mais parce qu’elles n’ont pas d’institution pour les incarner. Rien ne permet aujourd’hui de faire exister dans l’espace public une planification alternative, autre que celle de l’opérateur central.
C’est le symptôme d’une société qui a dépolitisé sa stratégie, qui confond efficacité et légitimité, expertise et autorité. Une société qui laisse les ingénieurs dessiner son destin, non pas parce qu’ils sont illégitimes, mais parce que plus personne ne veut endosser la responsabilité de le faire politiquement.
Il ne s’agit pas de remplacer RTE. Il s’agit de lui adjoindre d’autres voix, d’autres regards, d’autres scénarios. Il s’agit de réintroduire du conflit dans le débat énergétique, non pas pour diviser, mais pour clarifier. Il s’agit de redonner à la planification ce qu’elle a perdu : une vraie délibération démocratique.
Dans les années 1970, l’énergie se planifiait au sein de l’État. Les ministères traçaient les grandes orientations, EDF exécutait. On décidait au sommet, on construisait vite, on adaptait après.
Mais le monde a changé : la transition énergétique est infiniment plus complexe, plus technique, plus incertaine. Elle suppose des dizaines de paramètres, des arbitrages permanents, des réseaux interconnectés, des flux croisés, des équilibres temps réel.
Il faut une intelligence collective, mais aussi une capacité de modélisation rigoureuse et une connaissance intime du terrain. Qui peut assumer ça aujourd’hui, sinon RTE ?
RTE n’est pas un acteur parmi d’autres. C’est le cœur battant du système électrique français. Il voit tout, il mesure tout, il équilibre tout. Il n’agit pas dans l’ombre, mais en transparence. Ses scénarios sont publics, soumis à consultation, analysés par des chercheurs, débattus par des ONG, repris par les journalistes. Il n’impose pas une vision, il propose des trajectoires.
Il n’a pas de pouvoir de décision politique — ce sont les ministres, les députés, les préfets qui tranchent. Il n’a pas de capacité réglementaire — c’est la CRE qui encadre. Il n’a pas de capacité à lever l’impôt — ce sont les citoyens qui financent. En somme, RTE éclaire, il n’ordonne pas.
Oui, RTE investit. Oui, RTE construit. Mais sur des bases partagées, validées, discutées. Et il ne le fait pas pour son intérêt propre : son modèle économique est régulé, ses revenus plafonnés, ses investissements soumis à autorisation. Ce n’est pas une entreprise privée qui cherche le profit maximal : c’est un opérateur public, missionné pour garantir la stabilité du réseau, la sécurité d’approvisionnement, et l’adaptation du système aux nouveaux défis.
Chaque ligne posée, chaque interconnexion renforcée, chaque sous-station modernisée répond à un besoin validé, anticipé, objectivé.
On lui reproche de penser centralisé, de favoriser l’électrification, de sous-estimer l’autoconsommation. Mais ces critiques tiennent-elles face à la réalité physique du système ? On ne décarbonera pas les transports, l’industrie et le chauffage sans un recours massif à l’électricité. Et cette électricité, il faut la produire, la transporter, la stabiliser. Les panneaux solaires sur les toits sont utiles, mais insuffisants. Les réseaux intelligents sont prometteurs, mais encore fragiles. Il faut penser en termes d’équilibres, de pics, de marges, de redondances. Là encore, RTE est dans son rôle.
Peut-on imaginer un système sans lui ? Oui. Mais à une condition : disposer d’un autre acteur, aussi robuste, aussi compétent, aussi outillé. Or il n’existe pas. Ni à l’État, dont les capacités de prospective se sont affaiblies. Ni chez les ONG, qui alertent sans modéliser. Ni dans les collectivités, qui pensent à l’échelle locale mais pas nationale. Le seul acteur capable aujourd’hui de produire une vision cohérente, crédible, techniquement tenable, c’est RTE. Et si cette concentration pose question, la réponse n’est pas de le marginaliser, mais de renforcer les conditions du débat : supervision renforcée, contre-expertises financées, consultations élargies.
Plutôt que de dénoncer l’expertise, utilisons-la. Plutôt que d’opposer le terrain à la théorie, connectons les deux. Plutôt que de rêver à une neutralité parfaite, admettons qu’elle n’existe pas — et que ce qui compte, c’est la traçabilité des hypothèses, la transparence des choix, la diversité des voix dans le débat. Là encore, RTE ne ferme pas le jeu : il produit des scénarios multiples, ouverts à la discussion. C’est justement parce qu’il assume ses choix qu’on peut les discuter.
En vérité, la critique de RTE cache un malaise plus profond : celui d’un pays qui ne sait plus où se situe la légitimité. Ni dans l’État, affaibli. Ni dans les élus, contestés. Ni dans les experts, soupçonnés. Alors on attaque l’opérateur. Mais RTE n’est pas un danger pour la démocratie. Il est un révélateur de nos lacunes collectives. Ce qu’il faut, ce n’est pas le réduire, c’est lui opposer des pairs, créer une pluralité institutionnelle. Tant qu’il reste seul, il restera dominant. Mais ce n’est pas sa faute. C’est la nôtre.
Les hypothèses de départ sont tout sauf neutres. RTE présume une électrification massive de la société, une industrie relancée par le besoin d’électricité, une faible montée en puissance de l’autoconsommation, et un modèle très centralisé de production. Ces hypothèses, soigneusement calibrées, appellent mécaniquement des milliards d’euros de travaux sur le réseau haute et très haute tension. Et devinez qui les réalise ? RTE lui-même.
Tout est légitimé par des modèles sophistiqués, des infographies convaincantes, des consultations bien menées. Mais qui relit les codes sources ? Qui produit un contre-savoir avec les mêmes moyens ? Qui interroge les intérêts cachés derrière les courbes ? Il n’y a pas de véritable contre-pouvoir, ni institutionnel, ni démocratique, ni scientifique. RTE joue seul dans sa catégorie. Et le régulateur lui-même, la CRE, reste largement en position d’accompagnement.
Ce n’est pas la qualité du travail qui est en cause. C’est le fait que ce travail structure la décision politique en amont, qu’il précède le débat au lieu de l’éclairer. Ce n’est pas de l’influence. C’est une capture de la prospective par un opérateur qui y gagne trop pour être neutre.
Une démocratie énergétique digne de ce nom ne peut pas reposer sur un seul regard. Ni sur une seule modélisation. Il faut des scénarios concurrents, des hypothèses opposées, des lieux où la parole des territoires, des consommateurs, des collectivités, des chercheurs critiques puisse être articulée. Sinon, la planification n’est qu’un prolongement des intérêts existants, habillé de technicité.

«L’expert qui conseille... plantent aussi les pylones» Voltaire
BILLET. Le problème, c’est ce qu’on délègue à RTE ce qu’on lui confie, sans jamais redéfinir les limites de sa mission. Au fil des années, le gestionnaire du réseau est devenu beaucoup plus qu’un opérateur technique : il est la plume invisible qui écrit nos futurs énergétiques. Personne ne semble s’en émouvoir.
L’État, faute d’outils d’anticipation robustes, s’appuie sur ses scénarios. Les ministères, débordés, les adoptent. Les élus les entérinent. Les médias les reprennent. Et les investissements suivent. Ainsi, une entreprise publique, filiale d’EDF, chargée de transporter l’électricité, devient de fait l’architecte des choix de production, de consommation, et de réseau à l’horizon 2050.
Le plus troublant, c’est que tout cela se passe dans un silence presque parfait. Les chiffres sont là. Les modèles sont complexes. Les rapports sont longs. Mais où est le débat ? Qui remet en cause les hypothèses de départ ? Qui compare avec d’autres trajectoires ? Qui interroge les finalités ?
L’autoconsommation est systématiquement reléguée au rang d’anecdote. Les scénarios de sobriété forte sont minorés. Le solaire diffus est traité comme un appoint. A l’inverse, les éoliennes se multiplient surtout en mer avec des investissements gigantesques pour le raccordement et pour RTE. Pourtant, ces pistes dessinent un autre monde possible — moins centralisé, plus local, plus résilient.
Peut-on continuer à organiser la transition énergétique autour des intérêts structurels de ceux qui vivent du réseau centralisé ? Peut-on vraiment croire qu’un industriel, aussi compétent soit-il, va spontanément promouvoir un modèle qui réduit son propre périmètre d’intervention ?
L’intelligence des ingénieurs n’est pas en cause. Mais leur rôle, oui. Un opérateur n’a pas vocation à écrire la stratégie. Pas plus qu’un bétonneur ne devrait définir la politique d’aménagement du territoire. Ou qu’un constructeur automobile ne devrait fixer les règles du transport collectif.
Sortir de cette ambiguïté requiert un sursaut démocratique, une gouvernance capable de distinguer l’exécution de la planification, l’expertise de la décision, la technique de la stratégie. Il faut redonner un cadre à la planification énergétique. Et dans ce cadre, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) doit prendre un rôle bien plus central : supervision des scénarios, validation des hypothèses, mise en débat des choix, coordination de contre-expertises. C’est elle, et non un industriel, qui peut garantir la neutralité et la pluralité.
Il faut aussi sortir du mythe de la complexité technocratique comme refuge à l’indécision politique. Oui, le système électrique est complexe. Mais les choix qu’il recouvre sont simples : veut-on un modèle recentré sur les usages locaux ou une grande usine électrique nationale ? Veut-on une logique de sobriété choisie ou une électrification massive ? Veut-on donner plus de pouvoir aux territoires ou renforcer le pilotage depuis les centres ? Ces choix sont collectifs. Ils ne doivent pas être masqués par des courbes, mais discutés à la lumière du réel.
En vérité, nous avons livré notre souveraineté énergétique à un opérateur industriel en situation de monopole qui gère et construit notre réseau de transport d’électricité à haute et très haute tension. Pour cet opérateur, chaque TWh supplémentaire prévu, c’est un nouveau marché à raccorder. Chaque ligne haute tension tracée, c’est une nouvelle opportunité.
Comment nos représentants, nos politiques peuvent-ils résister à telle “autorité”, qui transforme le pays en autoroute électrique, ouvert aux autres pays d’Europe, une autoroute à péage qu’elle possède et exploite ? Pouvons-nous encore longtemps laisser ainsi nos fournisseurs décider de notre avenir ?…
Sujet de la veille :
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