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4 JUILLET 2025

POURQUOI PRÉFÈRE-T-ON AVOIR TORT AVEC SARTRE ... QUE RAISON AVEC ARON ?

Jean-Paul Sartre et Raymond Aron ont incarné deux visions opposées de l’intellectuel au XXe siècle :
l’un engagé, l’autre critique…

Jean-Paul Sartre et Raymond Aron ont incarné deux visions opposées de l’intellectuel au XXe siècle : l’un engagé, l’autre critique.

Sartre, figure majeure de l’existentialisme, a fondé Les Temps Modernes, refusé le prix Nobel et soutenu des causes révolutionnaires, comme le maoïsme ou la lutte armée du FLN.

Aron, journaliste et philosophe libéral, a dénoncé dès les années 1950 les dérives totalitaires du communisme et les illusions idéologiques de ses contemporains dans L’Opium des Intellectuels.

Le premier prônait l’intervention active de la pensée dans le réel ; le second en appelait à la distance, à la rigueur et à la responsabilité. Ces deux trajectoires, désormais historiques, continuent de structurer les débats sur le rôle des intellectuels dans l’espace public…

FAITS & CHIFFRES
Jean-Paul Sartre devient après 1945 le modèle emblématique de l’intellectuel engagé : il publie L’existentialisme est un humanisme, œuvre de vulgarisation philosophique…

FAITS & CHIFFRES

Jean-Paul Sartre devient après 1945 le modèle emblématique de l’intellectuel engagé : il publie L’existentialisme est un humanisme, œuvre de vulgarisation philosophique qui défend une morale de l’action, puis refuse en 1964 le Prix Nobel de littérature pour ne pas se « laisser récupérer » par les institutions (BNF, Dossier pédagogique « Jean-Paul Sartre », 2021).

Raymond Aron, son ancien condisciple de l’École normale, incarne l’intellectuel libéral, rationaliste et critique des idéologies. Dans L’Opium des intellectuels (1955), il dénonce l’aveuglement de la gauche française face au marxisme et au totalitarisme soviétique (Raymond Aron, L’Opium des intellectuels, Calmann-Lévy, 1955 ; rééd. 2020).

Sartre fonde en 1945 Les Temps modernes, une revue qui devient le carrefour des luttes existentialistes, décoloniales, marxistes et tiers-mondistes, rassemblant de jeunes intellectuels engagés comme Merleau-Ponty, Beauvoir ou Fanon (INA, Archives « Temps modernes, la revue de Sartre », 2023).

De son côté, Aron occupe pendant trente ans une position d’observateur critique du monde, publiant plus de 2 000 chroniques dans Le Figaro et L’Express, analysant les guerres, la diplomatie, la guerre froide et les idéologies avec rigueur (Fondation Raymond Aron, « Bibliographie complète », 2023).

En 1970, Sartre provoque un scandale en soutenant publiquement La Cause du peuple, journal maoïste interdit, qu’il codirige brièvement pour soutenir la gauche révolutionnaire face à la justice. Il devient alors la cible du pouvoir et des médias (Le Monde, « Quand Sartre prenait la tête de La Cause du peuple », 10 juin 2020).

Dans L’Être et le Néant (1943), Sartre théorise une philosophie de la liberté, du choix, de la responsabilité et de l’angoisse, faisant de l’existentialisme une pensée de la condition humaine en situation. L’ouvrage devient un classique mondial de la pensée du XXe siècle (Stanford Encyclopedia of Philosophy, « Jean-Paul Sartre », 2021).

Aron, quant à lui, devient une référence mondiale de la pensée réaliste en relations internationales : son ouvrage Peace and War: A Theory of International Relations (1962) est étudié dans toutes les grandes écoles anglo-saxonnes de science politique (Princeton University Press, Peace and War, 1966).

Sartre se positionne sans équivoque lors de la guerre d’Algérie, allant jusqu’à justifier la violence du FLN dans ses textes, ce qui provoque des réactions outrées en France comme à l’étranger (Jean-Paul Sartre, Colonialism and Neocolonialism, University of Chicago Press, 2001).

Dans ses cours

FLOP. Et si la vraie erreur était de devoir choisir ? Entre la posture morale flamboyante et la critique lucide ? Si cette opposition si souvent citée…
FLOP. Et si la vraie erreur était de devoir choisir ? Entre la posture morale flamboyante et la critique lucide ? Si cette opposition si souvent citée: « avoir tort avec Sartre ou raison avec Aron » n’était qu’ un duel de papier recyclé pour éviter une question plus dérangeante : à quoi sert un intellectuel ?

Sartre et Aron ont incarné deux façons de penser le XXe siècle. Mais ce siècle est fini. Leurs obsessions (guerre froide, marxisme, tiers-mondisme, totalitarisme… ) ne sont plus celles d’aujourd’hui. Les rapports de force ont changé. Les figures d’autorité aussi. Et pourtant, on continue à rejouer leur opposition comme un vieux couple tragique qu’on n’ose pas laisser partir.

Mais aujourd’hui, qui lit vraiment L’Être et le Néant ou L’Opium des intellectuels pour s’éclairer sur le monde ? Qui pense les GAFAM, l’IA, l’effondrement écologique ou la fragmentation démocratique à partir de Sartre ou d’Aron ? L’un et l’autre sont devenus des symboles plus que des penseurs opérationnels. Sartre, l’éternel engagé, même quand il s’aveugle. Aron, le sage en retrait, même quand il a raison pour lui tout seul.

Aujourd’hui, un intellectuel doit être les deux ou il n’est rien. S’il n’éclaire pas les choix, il devient un commentateur fade. S’il ne prend pas de risque, il devient un produit culturel. Mais s’il n’analyse pas, s’il ne doute pas, il devient un propagandiste de luxe. L’époque exige une nouvelle posture : celle du penseur-acteur, capable de s’engager sans se tromper de cause, capable de critiquer sans se réfugier dans l’ironie.

Ce que trahit cette vieille dichotomie entre Sartre et Aron, c’est notre nostalgie d’un âge où l’intellectuel avait encore un rôle clair. On savait qui parlait, d’où, pour qui. Aujourd’hui, les repères sont brouillés. L’intellectuel n’est plus une figure sacrée — il est un influenceur, un chroniqueur, un lanceur d’alerte, un youtubeur, un fantôme…

Que peut encore une pensée libre dans un monde saturé d’opinions ? Ni Sartre ni Aron ne répondaient à 280 caractères près. Ni l’un ni l’autre ne confondait buzz et vérité. Peut-être que leur vraie leçon commune est là : dans une rigueur perdue, une exigence oubliée, une lenteur salutaire.

FLIP. Raymond Aron avait raison: sur l’URSS, sur la Chine de Mao, sur la guerre froide, sur la désillusion révolutionnaire… Et pourtant, Sartre reste la figure mythique. Pourquoi ? Parce que l’histoire…
FLIP. Raymond Aron avait raison — sur l’URSS, sur la Chine de Mao, sur la guerre froide, sur la désillusion révolutionnaire. Et pourtant, Sartre reste la figure mythique. Pourquoi ? Parce que l’histoire ne se résume pas à des faits, des chiffres, des analyses… Elle se joue sur des convictions, des risques, des prises de position, même erronées, mais porteuses d’un souffle.

Sartre s’est trompé, souvent. Mais il a assumé. Il a agi. Il a payé de sa personne. Il a incarné ce que veut dire « être un intellectuel » dans une société en tension : ne pas rester sur le bord du fleuve à commenter la couleur de l’eau, mais y plonger.

La grandeur de Sartre, c’est son refus du confort intellectuel. Il aurait pu briller en professeur de logique — il a préféré mettre son talent au service des opprimés, quitte à se brûler. Il a soutenu des causes ambigües, parfois indéfendables. Mais jamais il n’a fermé les yeux sur l’injustice.

Aron, lui, a cultivé une posture de surplomb. Toujours critique, jamais solidaire. Toujours lucide, jamais impliqué. Toujours rationnel, rarement bouleversant. Son refus de s’engager directement au nom de la « complexité du réel » l’a souvent confiné à l’impuissance.

Il faut des Arons pour expliquer le monde. Mais ce sont les Sartre qui le changent.

On ne mobilise pas une génération avec une bibliographie. On la fait vibrer, réfléchir, agir. De la guerre d’Algérie à mai 68, Sartre a donné une voix à ceux qu’on n’entendait jamais. Il n’a pas parlé « à la place de », il a parlé « avec ». Il s’est fait le porte-voix des damnés de la terre, pas depuis une chaire, mais dans la rue, sur les barricades, à la porte des prisons.

Oui, Sartre s’est compromis. Mais en conscience. Il savait qu’un engagement sans risque est une lâcheté maquillée. Il a défendu les maoïstes, pas parce qu’il croyait aux camps, mais parce qu’il croyait qu’on ne pouvait pas rester neutre face à l’ordre établi. Il s’est trompé sur les moyens, mais pas sur le devoir de se lever.

Aron est celui qui voit venir l’orage et prend un parapluie. Sartre est celui qui sort torse nu pour hurler qu’il pleut sur les humiliés. Lequel est le plus utile à l’histoire ? Le spectateur avisé ou l’acteur faillible ? L’enseignant méthodique ou l’écrivain incandescent ? Le témoin prudent ou le combattant écorché ? À long terme, l’humanité ne retient pas les raisonnables, elle se souvient des fous sublimes.

Même ses adversaires reconnaissent à Sartre une intégrité dans l’engagement. Ce qu’il disait, il le vivait. Il allait là où ça brûlait. Il n’a pas fait carrière. Il a fait histoire. Et il l’a fait en assumant les conséquences, jusque dans ses erreurs. Il n’a pas fui dans les précautions.

Avoir raison avec Aron, c’est souvent avoir raison trop tôt, trop discrètement, trop froidement. Avoir tort avec Sartre, c’est se confronter au réel, au tragique, au choix. C’est reconnaître que l’intellectuel est un levier. C’est croire qu’il vaut mieux s’engager, quitte à se tromper, que s’abstenir par souci de pureté intellectuelle. À ce compte-là, l’histoire avance.

FLAP. Pendant que Sartre brillait dans les amphithéâtres, les rues ou dans Les Temps modernes, Aron travaillait dans l’ombre à défendre l’essentiel : la lucidité…
FLAP. Pendant que Sartre brillait dans les amphithéâtres, les rues ou dans Les Temps modernes, Aron travaillait dans l’ombre à défendre l’essentiel : la lucidité. L’histoire lui a donné raison, sur presque tous les grands dossiers du XXe siècle. Pourtant, on continue de glorifier celui qui s’est trompé. Pourquoi ce romantisme de l’erreur ? Pourquoi préférer l’illusion brillante à la vérité froide ? L’engagement aveugle à la clairvoyance désenchantée ?

Sartre a soutenu l’URSS quand elle était déjà totalitaire. Il a nié les goulags, méprisé les dissidents, salué les purges maoïstes, justifié la violence du FLN. Aron, lui, dénonçait sans relâche la tentation totalitaire. Il l’a fait avec méthode, avec courage aussi — car à l’époque, aller contre l’air du temps, contre la fascination de ses pairs pour le marxisme, demandait bien plus de cran que de se laisser porter par la vague révolutionnaire.

Sartre parlait fort, souvent à tort. Aron parlait juste, mais on ne voulait pas l’écouter. Le monde intellectuel français préférait les postures à la rigueur, les slogans à la démonstration, les fièvres collectives à la froide analyse. Et aujourd’hui encore, on célèbre celui qui s’est trompé avec panache plutôt que celui qui a eu raison dans la solitude. Ce culte de l’engagement à tout prix est une faillite morale.

L’intellectuel, s’il veut être utile à la cité, doit éclairer, non enflammer. Il ne doit pas flatter la révolte, mais l’informer. Il ne doit pas courir derrière les causes, mais évaluer leurs conséquences. Aron l’a fait. Il a analysé la guerre froide avec une lucidité que les Américains eux-mêmes ont saluée. Il a anticipé les dangers du tiers-mondisme idéologique, les effets pervers de la violence révolutionnaire, les mirages du marxisme occidental. Il a pensé contre lui-même, contre sa génération, contre ses amis. C’est cela, la grandeur.

Sartre, lui, a cru qu’on pouvait penser avec les tripes. Que l’émotion faisait loi. Qu’il suffisait de dénoncer pour avoir raison. Il a troqué la vérité contre la fidélité idéologique. Et quand les preuves de l’horreur soviétique ou maoïste s’accumulaient, il a persisté, refusé de voir. Par orgueil. Par peur d’avoir trahi sa ligne. Par aveuglement.

La posture sartrienne est dangereuse. Elle valorise la sincérité au détriment de la vérité, l’engagement au détriment de la prudence, le geste spectaculaire au détriment de l’effet réel. Ce qu’on célèbre chez Sartre, ce n’est pas sa pensée — c’est son image. Mais l’intellectuel n’est pas une icône. Il est un médiateur. Il doit douter, peser, corriger. Pas galvaniser.

Ce n’est pas parce qu’on marche aux côtés des opprimés qu’on les aide. Ce n’est pas parce qu’on crie dans la rue qu’on a raison. Ce n’est pas parce qu’on refuse un Nobel qu’on est pur. Aron, lui, a toujours cherché à comprendre. Il n’a jamais confondu révolte et révolution. Il savait que la complexité ne doit pas être fuie, mais affrontée. Que la nuance est plus exigeante que l’emphase. Que la responsabilité commence par la retenue.

La France a souvent préféré ses intellectuels brillants mais erratiques à ses penseurs constants. Mais le prestige ne fait pas la valeur. Il faut le dire clairement : Aron n’était pas spectaculaire. Il était fiable. Et dans un siècle de démesure, c’est lui qui a tenu la barre, pendant que d’autres la faisaient chavirer à coups de grandes phrases.

Avoir tort avec Sartre, c’est séduisant. Mais c’est irresponsable. Avoir raison avec Aron, c’est austère. Mais c’est salutaire.

Dans une époque saturée de passions, c’est la raison qu’il faut sauver. Pas l’éloquence.

"Aron avait raison ? Sartre avait tort ? Tout cela est bien relatif." Albert Einstein

BILLET. L’opposition Sartre-Aron structure encore notre imaginaire intellectuel. « Avoir raison avec Aron ou tort avec Sartre », cette formule élégante mais trompeuse…

BILLET. L’opposition Sartre-Aron structure encore notre imaginaire intellectuel. « Avoir raison avec Aron ou tort avec Sartre », cette formule élégante mais trompeuse prétend enfermer la pensée dans un dilemme insoluble : s’engager et se tromper, ou comprendre et s’abstenir.

Samuel Fitoussi, dans « Pourquoi les intellectuels se trompent », dévoile les mécanismes qui ont permis à des esprits brillants de défendre l’indéfendable. L’intellectuel, contrairement à l’artisan, échappe aux sanctions immédiates de ses erreurs. Le boulanger qui rate son pain perd ses clients ; le penseur qui défend un totalitarisme conserve sa chaire.

Plus fondamentalement, Samuel Fitoussi révèle un milieu dominé par le conformisme. La quête de reconnaissance y dépasse souvent celle de la vérité. Il est plus rentable d’épouser une absurdité en vogue que de défier un consensus confortable. Cette tendance s’accompagne d’un attrait pour les abstractions complexes, séduisantes mais parfois déconnectées du réel.

Ce clivage historique appartient pourtant à un monde disparu. L’intellectuel contemporain n’a plus de position centrale ni d’auditoire uni. Sa figure s’est fragmentée, dissoute dans le commentaire numérique permanent. D’autres formes de pouvoir cognitif l’ont marginalisé : data scientists, influenceurs, algorithmes. Le savoir n’a pas disparu, il a changé de mains.

Le véritable défi est d’inventer une pensée capable de dialoguer avec le chaos sans s’y perdre. Comment tracer des lignes dans l’indistinction entre opinion, savoir et propagande ? Comment produire du sens dans un environnement où la visibilité prime sur la vérité ?

L’héritage d’Aron et Sartre nous rappelle qu’une pensée vivante maintient la tension entre engagement et lucidité, entre passion et rigueur. Une intelligence plus humble, capable de se confronter au réel sans prétendre le maîtriser, qui contribue modestement à rendre lisible un monde devenu opaque…

Sujet de la veille :

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