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20 OCTOBRE 2025 (#111)
COMMENT COMBATTRE LES TOTALITARISMES ?
Le nazisme n’est pas tombé par un soulèvement populaire. Il a fallu une coalition militaire pour anéantir sa capacité de nuisance : bombardements stratégiques, blocus économique, défaites qui ont pulvérisé le mythe de l’invincibilité. À l’intérieur, une minorité a résisté — la Rose Blanche, le cercle de Kreisau, les conjurés du 20 juillet 1944. Ils n’ont pas renversé Hitler. Mais ils ont prouvé qu’une autre Allemagne existait, celle qui a fourni les bases morales de la reconstruction.
Pendant la guerre, la bataille de l’information a fissuré le monopole du mensonge. La BBC diffusait en allemand des nouvelles vérifiables qu’écoutaient clandestinement des millions d’Allemands. Les tracts largués donnaient des faits sur les défaites militaires et les crimes du régime. Parallèlement, les sabotages industriels et les bombardements de sites de production asphyxiaient la machine de guerre.
Mais la victoire militaire n’a pas suffi. La dénazification a dissous le parti nazi, démantelé les organisations SS et SA, interdit les symboles du régime. Les procès de Nuremberg ont jugé les hauts responsables. Les tribunaux locaux ont examiné des millions de cas individuels. Puis est venue la reconstruction institutionnelle : fédéralisme pour disperser le pouvoir, Constitution protégeant les droits fondamentaux, justice indépendante, médias pluralistes. L’Allemagne a dû réapprendre la démocratie par la pratique. Le travail de mémoire — la Vergangenheitsbewältigung, ce « travail sur le passé » — a forcé la société allemande à affronter ses crimes. Le processus a pris des décennies. Il a vacciné l’Allemagne contre le retour du totalitarisme.
Le totalitarisme chinois est né d’une promesse : celle d’un peuple enfin libéré de la misère, de la domination étrangère et des humiliations du passé. Mais cette promesse a engendré son inverse : une société soumise, formatée, surveillée. Après la victoire de 1949, Mao Zedong ne s’est pas contenté de conquérir le pouvoir. Il a voulu refaçonner la réalité elle-même. Le Parti unique a absorbé l’État, l’armée, les syndicats, les médias. Rien n’existait plus hors du Parti. Le peuple, la nation, la révolution, tout se confondait dans un même culte : celui du chef et de l’idéologie.
Le Grand Bond en avant (1958–1962) incarne cette logique d’utopie meurtrière. Mao promet de rattraper les puissances industrielles en quelques années. Les paysans sont regroupés de force dans des communes, les statistiques truquées pour flatter le pouvoir, les silences imposés par la peur. Résultat : entre 30 et 45 millions de morts de faim. Pourtant, la propagande transformait la catastrophe en triomphe. Les responsables qui disaient la vérité disparaissaient. La terreur et le mensonge marchaient main dans la main.
Puis vint la Révolution culturelle (1966–1976), explosion programmée du fanatisme. Mao, craignant d’être écarté, relança la ferveur révolutionnaire contre son propre parti. Les étudiants furent mobilisés pour « purger » la société. Les Gardes rouges humilièrent, frappèrent, exécutèrent professeurs, intellectuels, cadres. La Chine entra dans un délire d’autodestruction : bibliothèques brûlées, temples détruits, familles brisées, millions d’exilés internes. L’objectif réel n’était pas d’éduquer le peuple, mais de rendre toute société civile impossible. Chacun surveillait chacun. La délation devenait vertu.
Après la mort de Mao, Deng Xiaoping engagea une ouverture économique sans ouverture politique. Le marché devait remplacer le dogme, mais pas le Parti. « Peu importe que le chat soit noir ou blanc », disait Deng, « pourvu qu’il attrape les souris ». Le capitalisme chinois naquit ainsi d’un compromis autoritaire : enrichissez-vous, mais taisez-vous. La croissance fulgurante légitima un régime qui restait fondé sur la peur, la censure et la réécriture du passé. Quand les étudiants de Tian’anmen réclamèrent en 1989 « démocratie » et « vérité », les chars leur répondirent. Le massacre, nié jusqu’à aujourd’hui, devint le cœur du tabou fondateur du régime post-maoïste.
Sous Xi Jinping, la Chine a retrouvé le visage intégral du totalitarisme, adapté au XXIᵉ siècle. La terreur a changé de forme : moins de sang, plus de données. Des millions de caméras identifient les visages, suivent les déplacements, notent les comportements. Le « crédit social » mesure la conformité politique et morale des citoyens. Ceux qui critiquent le Parti voient leur note baisser, leur accès au train ou à l’université restreint. L’idéologie ne se hurle plus dans les rues : elle s’infiltre dans les algorithmes. Le mensonge ne se crie plus, il s’administre.
Dans les régions périphériques, le totalitarisme reste brut. Au Xinjiang, des centaines de milliers d’Ouïghours sont internés dans des camps de « rééducation ». À Hong Kong, la loi sur la sécurité nationale a étouffé les libertés en deux ans. Les grandes entreprises technologiques collaborent avec l’État, l’université produit des modèles de surveillance, la diplomatie promeut le récit d’un « socialisme à caractéristiques chinoises » qui serait supérieur aux démocraties occidentales, jugées faibles et divisées.
Comment combattre un tel système ? Par la vérité, d’abord. Comme les radios occidentales face à l’URSS, il faut maintenir ouverts les canaux d’information, multiplier les langues, les voix, les récits indépendants. Chaque fait vérifiable fissure la fiction d’un bonheur national parfait. Par la protection des dissidents ensuite : journalistes, avocats, chercheurs, qui risquent leur liberté pour témoigner. Par la traçabilité économique enfin : chaque technologie de surveillance, chaque travail forcé documenté dans les chaînes d’approvisionnement doit devenir un coût politique et commercial.
Mais la vraie bataille reste intérieure. Le Parti ne pourra pas tout contrôler éternellement. Son pouvoir repose sur la croissance et sur la peur. Si la première s’essouffle et si la seconde perd son efficacité, la légitimité s’érode. Ce jour-là, les Chinois redécouvriront qu’on peut vivre sans permission. Comme en URSS à la fin des années 1980, c’est quand les gens cessent de croire que le régime est inévitable qu’il devient vulnérable.
Le totalitarisme chinois n’est pas seulement un héritage du passé, c’est une expérience du futur : la fusion entre idéologie, technologie et contrôle social. Il démontre qu’un État peut transformer la surveillance en culture et la servitude en confort. Mais il rappelle aussi une vérité constante : un système qui prétend incarner la vérité absolue finit toujours par se heurter à celle des faits. L’idéologie peut tout prévoir, sauf le moment où les hommes cessent d’y croire.
L’islamisme totalitaire fonctionne différemment. Il combine appareil militaire, services sociaux et légitimité de « résistance ». À Gaza, le Hamas a gouverné par la force tout en fournissant écoles, hôpitaux et aide alimentaire, créant une dépendance de la population. En Syrie et en Irak, Daech a construit un proto-État avec justice islamique, administration et contrôle territorial.
Combattre ces mouvements exige une approche structurée. Les sanctions doivent cibler les cadres dirigeants et les réseaux financiers, jamais la population civile. Chaque frappe qui tue des civils refabrique la légitimité du mouvement qu’on veut détruire. La dissociation entre population et pouvoir devient cruciale. Il faut protéger massivement l’aide humanitaire, non comme geste de bonté mais comme arme stratégique : si les gens peuvent survivre sans dépendre du mouvement islamiste, sa base sociale s’effondre.
La bataille de l’information reste décisive. Diffuser en arabe des informations factuelles et locales brise les récits totaux. Montrer les crimes commis par ces mouvements contre leurs propres populations délégitime leur prétention à défendre l’islam ou la justice. Offrir des services alternatifs crédibles — municipalités fonctionnelles, ONG transparentes, aide internationale neutre — prouve qu’une autre gouvernance est possible.
Daech a été vaincu territorialement par une coalition aérienne internationale combinée à des forces locales légitimes : Peshmergas kurdes, Forces démocratiques syriennes. Simultanément, ses sources de financement ont été taries par le bombardement des installations pétrolières de contrebande, le gel des comptes bancaires, la surveillance des transferts d’argent. Mais la victoire n’a tenu que là où l’on a immédiatement stabilisé le territoire libéré : police locale, justice rapide, services publics fonctionnels. Partout où cette « gouvernance du lendemain » a manqué, le djihadisme est revenu sous forme clandestine.
L’idéologie ne meurt que lorsqu’on remplace ce qu’elle prétendait offrir — sécurité, sens, justice, services — par quelque chose de meilleur et de plus crédible.
L’Union soviétique ne s’est pas effondrée sous les bombes. Elle s’est effondrée sous le poids de ses propres contradictions, accélérées par une stratégie occidentale de longue haleine. La politique de containment a empêché l’expansion soviétique, maintenu la dissuasion nucléaire, investi massivement dans la prospérité des sociétés libres. Le pari : que le système soviétique s’userait de lui-même si on l’empêchait de compenser ses échecs internes par des conquêtes extérieures.
La bataille de l’information a joué un rôle central. Radio Free Europe et Radio Liberty diffusaient en langues locales des nouvelles vérifiables sur les événements mondiaux et les réalités cachées par la censure. Ces radios ne faisaient pas de propagande : elles donnaient des faits. À l’intérieur, le samizdat — cette littérature clandestine recopiée à la main — circulait parmi les dissidents. Des intellectuels comme Sakharov ont payé de leur liberté le droit de dire la vérité.
Les accords d’Helsinki de 1975 ont constitué un tournant. L’URSS a signé des engagements sur les droits de l’homme pour obtenir une reconnaissance diplomatique. Des groupes citoyens ont alors documenté les violations de ces accords et les ont rendues publiques. Chaque violation devenait un coût politique international. En Pologne, Solidarność a démontré qu’une mobilisation de masse non violente pouvait créer une légitimité alternative. Soutenu par l’Église catholique, des syndicats occidentaux et la diaspora polonaise, le syndicat a regroupé des millions de travailleurs, d’intellectuels et de paysans autour d’une idée simple : la dignité humaine face au mensonge d’État.
L’URSS s’est finalement effondrée parce que son économie ne pouvait plus suivre la course technologique avec l’Occident, parce que la guerre d’Afghanistan saignait ses ressources, parce que l’écart de prospérité avec l’Ouest devenait trop visible. Quand Gorbatchev a lancé la glasnost et la perestroïka, la société civile organisée a saisi l’ouverture. L’idéologie communiste n’a pas disparu du jour au lendemain, mais elle a perdu toute crédibilité. Les promesses d’un paradis futur ne pouvaient plus rivaliser avec la réalité d’une prospérité présente ailleurs.
"Voir les responsables ciblés. Entendre la vérité. Parler sans peur"
Ces quatre confrontations révèlent plusieurs constantes.
D’abord, viser la légitimité avant tout…
LES INVARIANTS DU COMBAT
Ces quatre confrontations révèlent plusieurs constantes.
D’abord, viser la légitimité avant tout. Frapper l’appareil répressif et financier, jamais la subsistance du peuple. Chaque victime civile renforce le régime qu’on veut abattre.
Ensuite, armer la vérité. Information locale, vérifiable, incarnée. La vérité n’est pas un luxe moral : c’est une arme stratégique qui corrode le mensonge d’État. Les radios de substitution, les journalistes protégés, les archives des crimes constituent l’arsenal de cette guerre.
Puis, organiser la masse non violente. Fournir à la société civile les outils pour résister : sécurité numérique, assistance juridique, micro-financements traçables, lieux de rencontre sécurisés. La société civile est le centre de gravité de tout changement durable.
Également, contractualiser les principes puis auditer sans relâche. Transformer chaque engagement — droits de l’homme, traités internationaux, règles de droit — en point de contrôle. Documenter chaque violation, la rendre publique, en faire un coût politique et judiciaire. Cette pression juridique constante épuise le régime.
Ensuite, tenir dans la durée. Construire des alliances solides, maintenir une économie attractive comme modèle alternatif, calibrer les pressions pour accélérer l’entropie interne du régime sans provoquer sa fuite en avant violente. Les régimes totalitaires contiennent leurs propres contradictions : il faut catalyser leur effondrement, non les reconstruire par nos erreurs.
Également, préparer le jour d’après dès maintenant. Justice transitionnelle, institutions pluralistes, services visibles, mémoire collective du mal commis. On ne change pas d’époque avec des slogans mais avec des structures fonctionnelles. La chute du régime n’est que le début : la vraie victoire, c’est qu’il ne revienne jamais.
Enfin, ne jamais externaliser l’âme du combat. L’extérieur peut contenir, aider, ouvrir des portes. Mais la victoire finale naît toujours de l’intérieur, quand une masse critique de gens découvre qu’elle a plus à gagner en liberté, sécurité et dignité hors du système totalitaire qu’à l’intérieur. C’est ce basculement mental, plus que n’importe quelle force militaire, qui fait tomber les régimes.
Ces règles ne garantissent pas la victoire rapide. Elles garantissent qu’on lutte sur le bon terrain, avec les bonnes armes, sans reproduire soi-même ce qu’on prétend combattre.
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