ACTUALITÉS · SOCIÉTÉ · ÉCONOMIE · TECHNOLOGIE
21 OCTOBRE 2025 (#112)
POUR UN “GIEC” DU VIVANT ?
Nous vivons un basculement anthropologique sans précédent. En moins de quinze ans, la biologie de synthèse est passée du statut de fantasme prométhéen à celui d’industrie structurée.
CRISPR-Cas9 (technique de référence en édition génétique depuis une dizaine d’années) permet désormais de réécrire le code du vivant avec la précision d’un traitement de texte. En Chine, des chercheurs ont créé des embryons humains génétiquement modifiés dès 2018. Aux États-Unis, des startups cultivent de la viande sans abattage, des laboratoires ressuscitent des espèces disparues, et des porcs génétiquement modifiés servent déjà de réservoirs d’organes pour l’homme. En Europe, la prudence règne encore — mais pour combien de temps ?
Le marché mondial de la biologie synthétique devrait atteindre 40 milliards de dollars en 2028. Mais le paradoxe est vertigineux. Nous déployons une puissance technique inédite sans avoir redéfini ce que signifie « respecter la vie ». Nous touchons au sacré avant d’avoir nommer ce qui doit rester intouchable. Sommes-nous en train de franchir, sans débat collectif réel, la ligne rouge séparant la médecine réparatrice de l’ingénierie totale du vivant ?
Trois dynamiques ou tensions émergent d’une cartographie mondiale de l’actualité dans le domaine de la biologie de synthèse.
Première tension : l’asymétrie réglementaire. D’un côté, des nations comme la France ou l’Allemagne maintiennent un principe de précaution fondé sur une anthropologie humaniste héritée du XXe siècle. De l’autre, la Chine, les États-Unis et plusieurs pays asiatiques avancent à marche forcée, transformant le vivant en terrain d’innovation compétitive. Cette divergence crée un paradoxe géopolitique : les pays prudents devront-ils importer demain des thérapies développées ailleurs selon des normes qu’ils refusent chez eux ? La souveraineté sanitaire devient alors dépendance technologique.
Deuxième tension : la désynchronisation entre puissance technique et cadre philosophique. Nous disposons désormais d’outils permettant de modifier l’humain à la source, mais nos sociétés n’ont pas redéfini ce qui constitue un être humain digne de protection. Les lois de bioéthique reposent encore sur des concepts forgés avant l’ère génomique : l’intégrité du corps, la dignité de la personne, le respect de la nature. Or CRISPR change la donne : si l’humain devient programmable, ces notions tiennent-elles encore ? Le droit cherche à encadrer ce que la philosophie n’a pas encore pensé.
Troisième tension : la privatisation du vivant. La biologie de synthèse attire des capitaux colossaux. Des startups brevettent des séquences génétiques, des laboratoires privatisent des techniques de modification, des fonds d’investissement parient sur la « disruption » du vivant. Cette logique marchande transforme l’organisme en produit, la cellule en actif, l’ADN en propriété intellectuelle. Mais si le vivant devient marchandise, que reste-t-il de sacré ? Le risque est double : d’une part, l’accès aux thérapies géniques pourrait creuser les inégalités entre riches et pauvres, créant une humanité à deux vitesses. D’autre part, la course au profit accélère les innovations sans laisser le temps du débat démocratique.
L’humanité modifie le vivant plus vite qu’elle ne redéfinit ce qu’elle veut rester. Nous avançons en terrain inconnu sans boussole partagée, portés par l’enthousiasme technologique mais privés de consensus moral. La question n’est donc plus seulement scientifique ou juridique : elle est existentielle. Acceptons-nous de devenir une espèce qui se réinvente elle-même, au risque de perdre ce qui la caractérisait jusqu’ici ? Ou posons-nous des limites, quitte à renoncer à certaines promesses thérapeutiques ? Le débat est ouvert, mais le temps presse : chaque jour, des laboratoires franchissent des seuils sans retour possible.
FLIP Il ne s’agit pas de refuser le progrès, mais de l’encadrer intelligemment. Les thérapies géniques offrent des perspectives immenses pour éradiquer des maladies héréditaires terribles : mucoviscidose, myopathies, cancers d’origine génétique. Interdire ces recherches serait criminel. Mais entre soigner et améliorer, entre réparer et créer, il existe une frontière morale qu’aucune société responsable ne peut franchir sans débat collectif. L’Europe doit maintenir son cadre éthique exigeant, non par frilosité, mais parce que toute civilisation repose sur des limites. Autoriser la modification génétique à des fins thérapeutiques strictement définies, tout en interdisant les manipulations germinales non médicales, c’est préserver l’humanité de la dérive eugéniste. La prudence n’est pas un refus : c’est une responsabilité. Les comités d’éthique, les lois de bioéthique régulièrement révisées, le débat public organisé sont autant de garde-fous nécessaires. Sans eux, nous abandonnerons le vivant aux seules logiques marchandes et nationalistes. La régulation intelligente n’empêche pas l’innovation : elle la civilise.
FLAP Ce discours de la prudence est une hypocrisie confortable. Pendant que l’Europe délibère, la Chine expérimente, l’Amérique brevète, et Singapour industrialise. Pour finir, nous serons demain les importateurs dépendants de thérapies développées ailleurs selon des standards que nous aurons refusé d’inventer. Comme avec l’IA, nous réglons pendant que les autres innovent…
Le vrai scandale n’est pas la manipulation du vivant, mais notre incapacité à assumer notre propre puissance. La vie n’a jamais été sacrée : elle a toujours été modifiée par l’homme. L’agriculture, l’élevage, la médecine moderne sont des interventions massives sur le vivant. CRISPR n’est que l’étape suivante. Refuser d’avancer au nom d’un prétendu respect métaphysique du vivant, c’est condamner des millions de malades au nom d’une idéologie de principe. Il faut tout reprendre à zéro : libérer la recherche, encourager l’innovation, laisser les individus décider pour eux-mêmes ce qu’ils veulent faire de leur corps et de celui de leurs enfants. L’État n’a pas à imposer sa vision du sacré. Le marché et la science sauront s’autoréguler si on leur en laisse la liberté.
FLOP On nous vend du rêve, mais c’est un cauchemar. Des laboratoires jouent avec le code de la vie comme si c’était un jeu vidéo, et demain ils vendront des bébés sur mesure aux plus riches. Vous croyez vraiment que ces technologies serviront à soigner les pauvres ? Non. Elles créeront une humanité à deux vitesses : d’un côté, une élite génétiquement optimisée, de l’autre, le reste d’entre nous, condamnés à rester « naturels », c’est-à-dire inférieurs.
C’est la mort de l’égalité, la fin de la fraternité, la destruction de l’idée même de l’homme : il n’y aura plus de destin, plus de mystère, plus de limite. Tout sera programmable, brevetable, commercialisable. On ne soigne plus : on fabrique. On ne respecte plus : on optimise.
Nos ancêtres se battaient pour préserver la dignité humaine ; nous, on la brade au nom du progrès. Il faut dire non. Non à cette folie prométhéenne. Non à ce monde sans âme. L’humanité a survécu des millénaires sans toucher au sacré. Elle ne survivra pas à cette ultime transgression.
La France a autorisé en 2021 la première thérapie génique par CRISPR pour traiter la bêta-thalassémie, mais encadre strictement toute modification germinale transmissible à la descendance (Loi de bioéthique révisée, Assemblée nationale, juillet 2021).
Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a publié en 2023 un avis sur les « limites de l’intervention humaine sur le génome », alertant sur le risque d’une « marchandisation du vivant » sans consensus philosophique préalable (Avis n°139, CCNE, mars 2023).
Aucun laboratoire français ne pratique légalement la modification génétique d’embryons humains destinés à l’implantation, contrairement à certains pays asiatiques, ce qui crée une asymétrie réglementaire mondiale (Rapport OPECST, Sénat, juin 2024).
L’Institut Pasteur a lancé en 2024 un programme de recherche sur la biologie synthétique appliquée aux maladies infectieuses, tout en insistant sur la nécessité d’un « cadre éthique européen harmonisé » (Communiqué Institut Pasteur, janvier 2024).
La France investit 800 millions d’euros dans le plan « Biologie de demain » (2023-2027), soit dix fois moins que la Chine sur la période équivalente, créant un décalage stratégique majeur (Ministère de l’Enseignement supérieur, septembre 2023).
Le débat public sur la bioéthique de 2018 a mobilisé moins de 30 000 contributions citoyennes, révélant une déconnexion entre l’ampleur des enjeux scientifiques et la participation démocratique réelle (États généraux de la bioéthique, CCNE, 2018).
Des sondages récents montrent que 62 % des Français acceptent les modifications génétiques pour soigner des maladies graves, mais seulement 18 % pour améliorer des caractéristiques physiques ou cognitives (IFOP pour La Croix, novembre 2024).
La France interdit le clonage reproductif humain depuis 1994, mais cette interdiction repose sur un socle philosophique hérité du personnalisme chrétien que les nouvelles générations ne partagent plus nécessairement (Code de la santé publique, art. L2151-4).
Le secteur privé français de la biologie synthétique reste marginal face aux géants américains et chinois, avec moins de 15 startups d’envergure contre plus de 400 aux États-Unis (France Biotech, rapport annuel 2024).
Aucune commission parlementaire permanente ne se consacre spécifiquement à l’éthique du vivant modifié, alors que les avancées scientifiques imposent des décisions politiques quasi-mensuelles (Analyse institutionnelle Le Monde, février 2025).
La Chine a annoncé en 2023 avoir créé plus de 300 lignées d’embryons humains modifiés génétiquement dans un cadre de recherche officiellement encadré, dépassant tous les autres pays réunis (Nature Biotechnology, août 2023).
Les États-Unis ont approuvé en 2022 la première greffe d’un cœur de porc génétiquement modifié sur un patient humain, ouvrant la voie à une industrie de xénogreffes évaluée à 15 milliards de dollars d’ici 2030 (FDA, janvier 2022).
Le Royaume-Uni a créé en 2021 la première « Human Fertilisation and Embryology Authority » spécialisée dans les modifications germinales, autorisant certaines recherches interdites ailleurs en Europe (HFEA, rapport 2021).
Une startup américaine, Colossal Biosciences, a levé 225 millions de dollars pour ressusciter le mammouth laineux via manipulation génétique d’éléphants d’Asie, normalisant l’idée de « dé-extinction » (TechCrunch, septembre 2023).
Singapour a légalisé en 2024 la vente de viande cultivée en laboratoire sans abattage animal, devenant le premier pays au monde à industrialiser cette rupture civilisationnelle (Singapore Food Agency, mars 2024).
L’OMS a publié en 2023 un rapport admettant l’impossibilité d’un contrôle international unifié des modifications génétiques, chaque État souverain fixant ses propres limites (WHO Registry on Human Genome Editing, juillet 2023).
Des chercheurs japonais ont créé en 2024 des embryons hybrides homme-singe pour développer des organes humains chez l’animal, franchissant une frontière symbolique majeure (Science, mai 2024).
Le marché mondial des thérapies géniques devrait atteindre 120 milliards de dollars en 2030, attirant des investissements massifs qui accélèrent la recherche au-delà des cadres éthiques existants (Global Market Insights, octobre 2024).
L’Inde a lancé en 2023 un programme national de modification génétique des cultures vivrières pour lutter contre la famine, appliquant au végétal une logique qui pourrait s’étendre à l’humain (Indian Council of Agricultural Research, avril 2023).
Aucune convention internationale contraignante n’encadre aujourd’hui les modifications génétiques transmissibles chez l’homme, créant un vide juridique planétaire exploité par les pays les plus audacieux (Convention d’Oviedo, analyse Conseil de l’Europe, janvier 2025).
« Ils nous promettent la guérison ; Et ils nous vendent la mutation » Simone Weil
Dans le secret de son laboratoire à Shenzhen, He Jiankui a utilisé CRISPR sur des embryons pour désactiver le gène CCR5, dans le but de les rendre résistantes au VIH. Le père des jumelles était séropositif, et le chercheur présentait son expérience comme un acte de compassion médicale. Mais la réalité était tout autre : il existait des moyens simples et éprouvés d’éviter la transmission du virus. He Jiankui n’avait pas sauvé des vies. Il avait transformé deux enfants en cobayes.
La condamnation fut immédiate et universelle. Ce qu’il venait de faire ne relevait pas seulement de l’imprudence scientifique, mais d’une transgression civilisationnelle. En modifiant des embryons, il n’avait pas simplement altéré l’ADN de deux individus : ces modifications étaient inscrites dans leurs cellules reproductrices, transmissibles à leurs enfants, et potentiellement à toute leur descendance. Pour la première fois dans l’histoire, un homme avait réécrit le code génétique de l’espèce humaine sans que personne n’ait pu donner son consentement.
Les autorités chinoises réagirent rapidement. En décembre 2019, He Jiankui fut condamné à trois ans de prison pour « pratique illégale de la médecine ». Mais au-delà du verdict juridique, l’affaire révélait une faille béante : la technologie CRISPR était devenue si accessible qu’un chercheur isolé avait pu, seul, franchir la ligne rouge que l’humanité s’était collectivement fixée.
Cette affaire trace une frontière éthique claire. Lorsque CASGEVY modifie les cellules sanguines d’un patient atteint de drépanocytose, il s’agit de médecine : un adulte consentant, une maladie grave, des modifications non héréditaires. Ce que He Jiankui a fait relève d’autre chose : la fabrication délibérée d’une humanité modifiée, sans urgence médicale, sans débat démocratique, sans retour en arrière possible.
Les jumelles Lulu et Nana ont aujourd’hui environ sept ans. Personne ne sait ce que leur ADN modifié produira à l’adolescence, à l’âge adulte, ou chez leurs propres enfants. Elles vivront toute leur vie comme les premières d’une expérience dont elles n’ont jamais voulu être les sujets.
Face à cette réalité, trois postures s’affrontent. Les technophiles américains militent pour libérer la recherche et faire confiance au marché. Les radicaux veulent tout interdire au nom de la nature, condamnant ainsi des millions de malades. Entre les deux, une troisième voie trace la ligne : soigner oui, améliorer non. Thérapies somatiques autorisées, modifications germinales interdites à jamais. L’égalité en dignité contre l’aristocratie biologique. Nous avons déjà connu l’eugénisme. Nous savons où ça mène.
Un parallèle interpelle : CRISPR et climat, même impuissance ? Quelques semaines après l’annonce de He Jiankui, la COP24 s’ouvre à Katowice. Trente ans après Rio, les émissions continuent d’augmenter. La communauté scientifique a condamné He Jiankui en 48 heures par un consensus horizontal immédiat. Les COP climat, elles, sont paralysées depuis trois décennies par des gouvernances verticales type ONU, englués dans les marchandages géopolitiques et les vétos diplomatiques. Comment éviter les mêmes écueils pour la biologie de synthèse ?
Pendant ce temps, l’Europe délibère. La France investit 800 millions sur cinq ans quand la Chine en investit dix fois plus. Résultat : 15 startups françaises contre 400 américaines. Le Comité consultatif national d’éthique publie des avis remarquables que personne ne lit. La loi de bioéthique maintient des interdictions que personne n’applique ailleurs. Demain, les Européens iront se faire soigner aux États-Unis ou en Chine, avec des techniques brevetées là-bas, selon des normes refusées ici, à des prix impayables. L’Europe ne défend plus une vision de l’humain. Elle ralentit en silence, épuisée de passer pour réactionnaire, incapable de proposer une alternative crédible entre l’enthousiasme technophile et le refus radical.
La proposition qui manque : un GIEC du vivant ? He Jiankui condamné par ses pairs en deux jours. Les COP paralysées depuis trente ans. Cette asymétrie révèle la solution. Les réseaux horizontaux d’experts réagissent vite mais manquent de légitimité démocratique. Les bureaucraties onusiennes ont la légitimité mais sont paralysées par le veto des États. Il faut donc hybrider les deux.
Sur le modèle du GIEC pour le climat, créons un Groupe d’experts intergouvernemental sur l’édition du génome (GEEG). Sa mission : établir un état des lieux scientifique incontestable, publier des rapports réguliers accessibles au grand public, définir les lignes rouges techniques avant que les faits ne les franchissent. Pas de pouvoir réglementaire – cela reste aux États – mais un consensus scientifique mondial qui rende politiquement coûteux de le violer.
Parallèlement, des conventions citoyennes nationales puis internationales, sur le modèle des COP mais avec un mandat clair : où placer la ligne entre soigner et améliorer ? Ces conventions ne seraient pas consultatives mais produiraient des propositions de traités contraignants, votées ensuite par les parlements.
Enfin, un registre mondial obligatoire des modifications génétiques germinales, géré par une autorité indépendante. Toute tentative de modification d’embryon destiné à naître doit être déclarée avant son implantation. Les chercheurs qui violent cette règle sont automatiquement exclus de toute publication scientifique mondiale. Pas besoin d’ONU paralysée : la communauté scientifique s’autorégule par ostracisme professionnel.
Cette architecture n’est ni utopique ni bureaucratique. Elle existe déjà partiellement : le GIEC fonctionne depuis 1988, les conventions citoyennes ont fait leurs preuves sur des sujets complexes, les registres internationaux existent pour le nucléaire ou les pandémies. Il suffit de les adapter à l’urgence génétique.
WOW ! est un site expérimental, privé, indépendant, libre,
dédié à la recherche sur l’ IA en tant que moyen d’information, d’écriture,
au débat d’idées et à la réflexion.
Tous les textes proposés sont générés par IA avec supervision humaine.
Aucun ne représente les opinions de WOW !
Pour toute question : contact@wow-media.fr