ACTUALITÉS · SOCIÉTÉ · ÉCONOMIE · TECHNOLOGIE
24 OCTOBRE 2025 (#115)
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : BOUILLABAISSE AUGMENTÉE, PARESSE ASSURÉE
La nouvelle génération d’intelligences artificielles transforme nos usages, nos savoirs, notre rapport au langage. Près d’un tiers des particuliers les utilisent pour rédiger, résumer, apprendre ou créer. Côté entreprises, près d’une sur deux les intègre dans ses process (marketing, RH, relation client, développement..)
Personne ne s’en vante. Ni les particuliers, ni les professionnels, ni les entreprises. Entre promesse d’autonomisation et risque de paresse généralisée, la révolution IA n’est pas qu’un bond technologique. C’est une bascule civilisationnelle. Où tout cela nous mène t’il ?
L’intelligence artificielle générative bouleverse le paysage cognitif mondial. En quelques mois, elle a transformé les outils, les usages, et jusqu’à notre rapport au savoir. En France comme ailleurs, l’IA n’est plus un gadget expérimental : c’est un moteur intégré au quotidien de millions d’individus et d’entreprises. Cette expansion rapide repose sur une promesse séduisante : rendre le langage plus fluide, l’information plus digeste, et le travail intellectuel plus rapide.
Mais derrière l’euphorie, plusieurs tensions apparaissent. La première est épistémologique : ces modèles l’analysent pas, ils font semblants. Ce ne sont pas des bibliothèques intelligentes, mais des simulateurs de discours. Dès lors, peut-on encore parler de « savoir » lorsqu’on interroge un outil statistique, formé sur des corpus biaisés, sans transparence sur ses sources ?
Deuxième tension : le pouvoir. Ces outils concentrent l’intelligence linguistique entre les mains de quelques firmes (OpenAI, Google, Mistral), avec des biais culturels, commerciaux et idéologiques peu visibles. Le risque d’un formatage cognitif invisible, au nom de la praticité et du business, devient réel.
Troisième fracture : l’éducation. Que vaut encore un apprentissage fondé sur l’effort, la recherche, la vérification, face à des réponses automatiques séduisantes et gratuites ? L’usage des LLM pousse à la paresse intellectuelle autant qu’il ouvre des opportunités nouvelles pour les publics les moins à l’aise avec l’écrit.
Enfin, le paradoxe de l’accès : ces modèles simplifient l’accès au langage… en masquant les chemins de la pensée. Ils rendent lisible, mais pas intelligible. Ils fluidifient, mais ne confrontent pas. Le dialogue est unilatéral, la contradiction absente.
Comment préserver le dialogue, le partage d’idées originales et la compréhension collective si nous déléguons, sans garde-fou, le langage à la machine ?
FLIP. Les modèles de langage changent la donne. En remplaçant les moteurs de recherche…
FLIP. Les modèles de langage changent la donne. En remplaçant les moteurs de recherche, ils proposent une réponse directe, contextualisée, conversationnelle. Loin de tuer la pensée, ils la rendent plus accessible. Un étudiant, un salarié ou un citoyen gagne du temps, comprend plus vite, formule mieux. Ce n’est pas une menace, c’est une optimisation. Ces outils ne remplacent pas l’intelligence humaine, ils l’amplifient. À nous de les intégrer avec discernement, sans fétichisme, mais sans frilosité non plus.
FLAP. Ces outils ne « cherchent » rien : ils simulent. Le danger est de leur prêter un statut cognitif qu’ils n’ont pas. Ils fabriquent un vernis de savoir sans fondation. Pire, ils renforcent le biais de confirmation, l’illusion de vérité, et court-circuitent l’effort. Derrière leur usage massif, on installe un pouvoir invisible sur le langage. Ce n’est pas une aide à penser, c’est une dérive mimétique déguisée en progrès. Il faut alerter, former, encadrer.
FLOP. C’est comme un micro-ondes au milieu de la bibliothèque. Il chauffe vite, il est pratique, mais il ne lit rien. Les modèles de langage sont des machines à écrire sans lecteur. Ils ne font pas penser, ils font du texte. Très bien. Mais arrêtons de leur demander de réfléchir à notre place.
La France ambitionne de former 100 000 data scientists par an dès 2025, soit trois fois plus qu’en 2023 (Sommet pour l’action sur l’IA, février 2025).
Fondée en 2023, Mistral AI atteint une valorisation de 5,8 milliards d’euros en juin 2024 (Wikipedia, juin 2024).
Microsoft a intégré les modèles Mistral à sa plateforme Azure dans le cadre d’un partenariat stratégique (Wikipedia, 2024).
35 nouveaux centres de données sont programmés en France pour accompagner la croissance de l’IA (Sommet pour l’action sur l’IA, 2025).
L’Union européenne a lancé OpenEuroLLM, un projet de modèles de langage multilingues open source (Commission européenne – communiqué officiel, 2025).
Le marché de l’IA en France est estimé à 24,49 milliards d’euros en 2031, contre 4,6 milliards en 2024 (Statista, 2024).
Près d’un tiers des Français utilisent l’IA générative pour produire ou résumer des contenus (OpinionWay, “Les Français et l’intelligence artificielle”, mars 2025).
46 % des entreprises françaises ont intégré des outils d’IA dans leurs processus quotidiens (INSEE – enquête annuelle, avril 2025).
55 % des grandes écoles d’ingénieurs en France proposent désormais des formations liées à l’IA (Conférence des grandes écoles – rapport 2024-2025).
Un module d’introduction à l’IA sera intégré aux programmes des lycées à partir de 2026 (Ministère de l’Éducation nationale – communiqué, juin 2025).
78 % des entreprises dans le monde utilisent l’IA en 2024, contre 55 % l’année précédente (McKinsey, “State of AI”, 2024).
En Inde, 92 % des travailleurs du savoir utilisent des outils d’IA générative (Time, “India’s AI Boom”, mai 2024).
JPMorgan a développé une suite d’outils d’IA internes déployée auprès de 200 000 employés (Business Insider, novembre 2024).
En 2025, 50 % du travail numérique mondial sera automatisé via des modèles de langage (Springs Apps, rapport 2024).
Baidu, Alibaba et Tencent ont lancé des modèles de langage open source destinés au grand public (Business Insider, avril 2025).
Le Japon a mis en place un programme de certification IA pour les professions juridiques (MIT Technology Review, janvier 2025).
La Corée du Sud impose l’identification des contenus générés par IA dans les médias (Yonhap News, février 2025).
L’université Stanford a lancé un modèle de langage open source multilingue mis à disposition de toutes les écoles publiques (Stanford AI Lab – communiqué, mars 2025).
Google a remplacé 30 % des fonctions de recherche dans ses produits internes par des outils basés sur Gemini (Google I/O, 2025).
La Russie développe ses propres modèles de langage sous contrôle étatique pour les administrations publiques (TASS, mars 2025).
« Le progrès n’est rien s’il nous dispense de réfléchir » Rabelais
Les modèles de langage sont utiles. Ils sont là, massivement intégrés à nos usages, puissants, prolifiques. Le vrai enjeu, désormais, est de décider comment nous voulons les utiliser. Et surtout, ce que nous refusons de leur déléguer.
Tout contenu généré par un LLM (Large Language Model) doit être traçable. Pas pour surveiller, mais pour responsabiliser. Dans toute production professionnelle ou publique, il faut pouvoir savoir si le texte a été produit par une machine, assisté par elle, ou conçu sans aide. C’est une condition de confiance. Ce n’est pas au lecteur de deviner.
L’école doit cesser de courir après les tricheurs. Le problème n’est pas l’usage des IA, c’est l’absence de cadre. Il faut former les élèves à comprendre comment ces modèles fonctionnent, pourquoi ils peuvent être utiles, et dans quels cas ils deviennent des pièges. On n’apprend pas à penser avec des réponses toutes faites. On apprend à douter, à chercher, à reformuler.
Les modèles open source doivent devenir des biens communs. Aujourd’hui, l’essentiel des outils disponibles sont conçus par des entreprises privées, selon des logiques propriétaires opaques. Si l’on veut préserver un minimum de pluralisme cognitif, il faut financer des modèles alternatifs, multilingues, portés par des universités, des États, des coalitions culturelles. Pas pour rivaliser en puissance brute, mais pour défendre des logiques différentes.
Programmer le désaccord. Les textes générés par un modèle doivent être présentés comme tels avant reproduction ou diffusion. Ils doivent aussi systématiquement inclure une version contradictoire, une objection, un commentaire alternatif, une mise en tension. Non pas pour créer du bruit, mais pour empêcher l’illusion du consensus. L’esprit critique naît de la friction.
Réapprendre à valoriser ce que ces outils ne peuvent pas produire : le silence, la nuance, l’hésitation, l’imperfection du raisonnement humain. Il y a des moments où l’on doit refuser de résumer, de simplifier, de générer. L’intelligence commence souvent là où le texte s’interrompt.
L’IA générative est territoire de pouvoir. Ce que nous écrivons, comment nous l’écrivons, ce que nous laissons une machine écrire à notre place : tout cela dit quelque chose de qui nous sommes et de ce que nous voulons devenir.
Le vrai danger c’est de laisser, par paresse, la machine décider notre place de notre territoire.
WOW ! est un projet de recherche indépendant, privé, libre, sur les médias et sur l’ IA en tant que moyen d’information, d’écriture, de débat et de réflexion. Tous les textes sont hybrides (humain et IA). Aucun ne représente les opinions de WOW!
Pour toute question : contact@wow-media.fr