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29 OCTOBRE 2025 (#118)
A QUOI SERT L’ ENA, MÊME RÉFORMÉE ?
Créée en 1945 pour démocratiser l’accès à la haute fonction publique, l’École nationale d’administration (ENA) est longtemps restée le symbole d’une élite technocratique. Emmanuel Macron (promotion Senghor, 2004) a annoncé en 2021 sa suppression et son remplacement par l’Institut national du service public (INSP).
L’objectif était-il suffisant ? Diversifier les profils, renforcer la culture du service, rompre avec le sentiment d’entre-soi… Derrière le changement de nom, n’y avait-il qu’une triste opération de com ?
Chaque génération d’énarques a produit sa passion triste, illustrée par Jean-Yves Haberer (1959), Jean-Marie Messier (1982), Emmanuel Macron (2004). Trois parcours, un même syndrome : ambition démesurée, sentiment d’infaillibilité forgé dans le creuset de l’ENA, réseaux d’influence tissés dans les arcanes du pouvoir, ascension fulgurante à des postes de commande, conviction messianique de pouvoir transformer le monde, précipitation frénétique, déni brutal des contraintes concrètes, prise de risques inconsidérée avec l’argent des autres…
Trois trajectoires représentatives de leur époque : du public vers le public pour Haberer, du public vers le privé pour Messier, du privé vers le public pour Macron. Trois mélanges des genres qui interpellent et militent pour une réforme radicale de notre haute fonction publique.
Le scandale du Crédit Lyonnais dirigé par Jean-Yves Haberer (ENA 1959) a coûté 15 milliards d’euros au contribuable en raison de prises de risques et d’investissements irréalistes (Le Figaro, “Crédit Lyonnais : chronique d’un naufrage bancaire historique”, 10 novembre 2013).
Jean-Marie Messier (ENA 1982) a conduit Vivendi Universal à une perte historique de 13,6 milliards d’euros en 2002 après une série d’acquisitions à crédit (Le Monde, “Jean-Marie Messier, les six mois de chute”, 1er juillet 2002).
Depuis 2017, la dette publique de la France a augmenté de 862 milliards d’euros sous Emmanuel Macron (ENA 2004), atteignant 3 300 milliards en 2024, soit 113 % du PIB (TF1 Info, “La dette de la France a-t-elle augmenté de 900 milliards d’euros depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en 2017 ?”, 18 janvier 2024).
Le déficit public a atteint 154 milliards d’euros en 2023, soit 5,5 % du PIB, selon la Cour des comptes, rendant impossible la stabilisation de la dette (Le Monde, “À 5,5 %, le dérapage du déficit public 2023 place le gouvernement dans l’embarras”, 26 mars 2024).
En avril 2021, Emmanuel Macron a annoncé la suppression de l’ENA au profit de l’INSP, sans remettre en cause le système de classement, les grands corps ou le pantouflage (Le Monde, “Emmanuel Macron annonce la suppression de l’ENA”, 8 avril 2021).
En France, 65 % des inspecteurs des finances rejoignent le privé dans les dix ans, contre seulement 18 % au Royaume-Uni, illustrant un pantouflage massif et un manque de contrôle des conflits d’intérêts (OCDE – Public Integrity Report, 2023).
En 2017, l’Italie a réformé sa haute administration en supprimant la Scuola Superiore della Pubblica Amministrazione et en intégrant plusieurs écoles dans un cadre plus transparent (European Institute of Public Administration, “Italy Public Administration School Reform”, 2018).
Le spoil system américain permet au président de nommer jusqu’à 4 000 hauts fonctionnaires par mandat, avec validation par le Sénat, garantissant une fidélité politique assumée (Congressional Research Service, “Presidential Appointments, the Senate’s Role, and Changes Since 1981”, 2022).
Les États dotés d’élites administratives homogènes et centralisées comme la France, le Japon ou la Corée du Sud présentent un risque accru de faible innovation institutionnelle (World Economic Forum – Global Competitiveness Report, 2023).
93 % des élèves de l’ENA sont issus des classes sociales supérieures, contre 63 % pour la haute fonction publique britannique, montrant une forte fermeture sociale de l’élite administrative française (Insee – Rapport sur l’origine sociale des hauts fonctionnaires, 2022).
Haberer, Messier, Macron ? Des personnages exagérément symbolisés. Mais leurs échecs viennent de systèmes politiques, économiques et sociaux malades, pas d’un concours, d’une école ou d’un cursus.
L’obsession française pour l’élitisme formel masque un vide plus inquiétant : l’impossibilité de produire une vision politique de long terme. Le problème c’est l’absence d’horizon commun, la désagrégation du sens de l’action publique.
Que les énarques échouent ? Oui. Mais pas plus que les patrons du CAC 40, les ministres parachutés, ou les élus sans formation. Ce sont des symptômes d’une société qui ne sait plus qui elle veut former, ni pourquoi.
La vraie réforme est existentielle. Redonner sens au service public, revaloriser l’expérience de terrain, la lenteur, l’hybridation des parcours.
Si l’ENA n’est plus adaptée, c’est parce que notre société elle-même a dérivé. La technocratie n’est pas une aberration en soi. Elle devient toxique quand elle n’a plus de contrepoids culturel, démocratique, politique.
Il faut sortir de la logique bouc émissaire et refonder notre mode de gouvernement, pour le rendre encore plus démocratique.
On attribue volontiers à l’ENA les excès de la technocratie, mais on oublie que l’État français repose sur cette même technocratie pour fonctionner, arbitrer, résister aux lubies populistes.
Fermer l’école ? Supprimer le classement ? Abolir les grands corps ? Ce serait jeter aux orties la méritocratie républicaine au profit de réseaux opaques, de lobbies, ou d’une gouvernance à l’anglo-saxonne fondée sur l’alternance clientéliste.
Le service public, s’il veut garder sa cohérence et son indépendance, a besoin de profils solides, formés, exigeants. L’ENA les a produit pendant des décennies.
Que l’école ait ses défauts, c’est certain. Mais en faire le bouc émissaire des échecs politiques ou managériaux est une erreur d’analyse. L’hubris de certains dirigeants ne vient pas du classement de sortie, mais du système médiatique qui transforme toute carrière en feuilleton, tout projet en narration héroïque. Haberer, Messier, Macron : trois figures différentes, dans trois contextes très dissemblables. Juste une mauvaise lecture de trajectoires complexes.
Réformer, oui. Mais attention au fantasme de la table rase. La suppression de l’ENA au profit de l’INSP n’a rien réglé parce que le problème est ailleurs.
Ce qu’il faut, ce n’est pas disqualifier la haute fonction publique, mais revaloriser son rôle, l’ouvrir davantage, renforcer l’éthique de responsabilité, sans sacrifier l’efficacité ni le niveau.
Loin d’être un service à la nation, elle a dérivé en caste hermétique qui se reproduit entre pairs, se co-opte au sommet de l’État, et échoue à prévenir ou gérer les grandes crises contemporaines.
Les cas Haberer, Messier, Macron ne sont pas des exceptions. Ce sont des symptômes. L’ENA forme au raisonnement abstrait, à l’optimisation de systèmes fermés, à la manipulation des opinions comme des entourages, au service d’un ego savamment entretenu. Elle ne forme ni à la gestion humaine, ni à la prise de risque réelle, ni à la confrontation avec la société.
Résultat : une haute fonction publique arrogante, qui confond autorité intellectuelle et légitimité démocratique, et qui refuse de se remettre en cause.
La réforme annoncée par Macron n’a rien changé. Un pur exercice de communication. L’INSP perpétue l’essentiel : classement, reproduction sociale, accès aux grands corps, pantouflage. Rien de structurel n’a été modifié. Pourquoi ? Parce que ce système est protégé par ceux-là mêmes qui en sortent, y naviguent, s’y recasent après leur mandat. C’est notre oligarchie, à la française.
Il faut une rupture nette. Supprimer le système des corps. Désarmer le pantouflage. Instituer l’inéligibilité des hauts fonctionnaires pour éviter les conflits d’intérêts public-public. Et surtout : rendre aux élus un vrai pouvoir sur l’administration, via un spoil system encadré.
Il est temps de mettre fin à ce que produit l’ENA : une élite autonome, irresponsable, trop puissante pour être corrigée par le politique.
« Former des princes sans leur apprendre la chute, quelle imprudence ! » Machiavel
Trois angles d’analyse se complètent pour construire un chemin.
L’angle sécuritaire et migratoire établit un lien factuel entre immigration non maîtrisée et enracinement islamiste. Quarante pour cent des détenus pour terrorisme sont étrangers, les réseaux exploitent systématiquement les failles procédurales, et 93% des OQTF restent inappliquées. Sans régulation migratoire ferme, la lutte antiterroriste demeure fragile. Le Danemark a prouvé qu’on peut être ferme et démocratique simultanément.
L’angle idéologique et territorial démontre que l’islamisme ne se réduit pas aux flux migratoires. Il prospère dans les zones abandonnées, se nourrit de financements étrangers, forme ses cadres à l’étranger et comble les vides laissés par la République. Réformer l’intégration, couper les flux financiers opaques, imposer la formation nationale des imams, dissoudre les associations-écrans, rétablir la présence républicaine : ces leviers sont indépendants de toute fermeture de frontières.
L’angle politique et historique révèle que l’ampleur actuelle découle de quarante ans d’abdication républicaine. L’État a vu, su et choisi de ne pas agir. Mosquées salafistes, financements du Golfe, dérives communautaires : tout s’est développé sous l’œil complaisant d’institutions préférant composer plutôt qu’affronter. L’islamisme a avancé par petites étapes, exploitant culpabilités et peurs du conflit.
Pour combattre durablement l’islamisme, la République doit assumer simultanément trois responsabilités : protéger ses frontières, exercer son autorité et redonner du sens commun.
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