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22 OCTOBRE 2025 (#113)
L’IRAN, CETTE ÉNIGME
De Cyrus le Grand à Khomeini, de la Route royale à l’internet clandestin, l’Iran traverse les millénaires en gardant la même tension entre pouvoir spirituel et aspiration universelle. Civilisation d’empire et d’exil, de foi et de savoir, l’Iran n’a jamais cessé d’incarner le paradoxe du Moyen-Orient : une nation à la fois rebelle, mystique et rationnelle, blessée mais immortelle.
En 2025, son destin demeure suspendu entre deux héritages : celui du prophète et celui du poète. Entre Karbala et Ferdowsi, entre chiisme d’État et désir de liberté, l’Iran reste fidèle à ce qu’il a toujours été : une énigme fascinante dans l’histoire du monde.
L’Iran, que l’on appelait autrefois la Perse, est l’un des plus vieux pays du monde. Il ne s’agit pas seulement d’un territoire ancien…
LA TOLÉRANCE FAIT EMPIRE
L’Iran, que l’on appelait autrefois la Perse, est l’un des plus vieux pays du monde. Il ne s’agit pas seulement d’un territoire ancien : c’est une civilisation qui, depuis plus de 2 500 ans, a su mêler puissance politique, profondeur spirituelle et rayonnement culturel. Le mot “Perse” vient du nom d’un peuple, les Perses, installés sur le plateau iranien, une vaste région montagneuse située entre la Mésopotamie (l’actuel Irak) et l’Inde.
Au VIᵉ siècle avant notre ère, un chef charismatique nommé Cyrus II, plus connu sous le nom de Cyrus le Grand, parvient à unifier les différentes tribus iraniennes. Son règne (de 559 à 530 av. J.-C.) marque la naissance du premier grand empire perse, appelé empire achéménide. En quelques années, Cyrus conquiert trois grands royaumes : la Médie (au nord-ouest de l’Iran), la Lydie (en Asie Mineure, actuelle Turquie) et surtout Babylone, l’un des centres les plus puissants du monde antique.
Mais Cyrus ne se contente pas de conquérir. Là où beaucoup d’empires de l’époque imposaient leur religion, leur langue et leurs coutumes par la force, Cyrus choisit une autre voie : celle de la tolérance. Après avoir pris Babylone en 539 av. J.-C., il surprend le monde en proclamant la liberté de culte pour tous les peuples qu’il domine. Il autorise même les Juifs exilés à Babylone à retourner à Jérusalem pour y reconstruire leur Temple détruit. Ce geste exceptionnel est rapporté dans la Bible (Livre d’Esdras) et fait de Cyrus une figure respectée dans la tradition juive : il est même le seul souverain non juif à être appelé “messie”, c’est-à-dire “oint de Dieu” (Livre d’Ésaïe, 45:1).
Cette attitude montre une idée révolutionnaire pour l’époque : un roi peut gouverner un immense empire sans détruire les cultures de ses sujets. Au lieu de dominer par la peur, Cyrus choisit d’unir les peuples par le respect et l’organisation. C’est ce qu’on appelle parfois le “contrat moral” de l’empire perse : les peuples obéissent à l’autorité du roi, mais conservent leurs traditions, leurs langues et leurs dieux.
Le témoignage le plus célèbre de cette vision du monde est un petit cylindre d’argile gravé en écriture cunéiforme, retrouvé en 1879 : le Cylindre de Cyrus. On y lit les principes de justice, de tolérance et de liberté religieuse que Cyrus voulait appliquer. Beaucoup d’historiens le considèrent comme une première déclaration des droits de l’homme, bien avant celles de l’époque moderne.
Après la mort de Cyrus, son fils Cambyse II puis Darius Ier (522–486 av. J.-C.) poursuivent son œuvre. Darius transforme la Perse en un État centralisé et efficace, administré par des satrapies, c’est-à-dire des provinces gouvernées par des “satrapes”, sortes de préfets ou de gouverneurs. Chaque région doit payer un impôt, mais reste libre de ses coutumes.
Pour relier cet immense territoire, Darius fait construire la Route Royale, longue de plus de 2 500 kilomètres, allant de Suse (en Iran) à Sardes (près de la mer Égée). Grâce à un système de relais et de messagers, les nouvelles circulent en quelques jours à travers tout l’empire — un exploit pour l’époque ! L’administration perse invente ainsi une forme d’État moderne : hiérarchisé, logistique, efficace.
Les rois achéménides, comme Xerxès Ier, développent aussi un art de cour raffiné. À Persépolis, capitale monumentale taillée dans la pierre, les reliefs représentent les peuples de l’empire apportant leurs tributs au roi. Ces sculptures traduisent une idée essentielle : la diversité n’est pas une faiblesse, mais une richesse sous l’autorité du souverain.
Derrière cette grandeur politique se cache une vision spirituelle du monde. La religion dominante, le zoroastrisme, fondée par le prophète Zarathoustra (ou Zoroastre) plusieurs siècles avant Cyrus, enseigne une idée simple et puissante : le monde est le théâtre d’un combat entre le Bien (incarné par le dieu Ahura Mazda) et le Mal (incarné par Ahriman). Chaque être humain a le devoir moral de choisir le bien, par la vérité, la pureté et la justice.
Cette religion, monothéiste avant l’heure, influencera plus tard le judaïsme, le christianisme et l’islam. L’idée d’un jugement dernier, d’un paradis et d’un enfer, ou encore celle du combat entre la lumière et les ténèbres, vient en partie du zoroastrisme.
Ainsi, dès l’Antiquité, la Perse n’est pas seulement un empire militaire : c’est une civilisation morale, qui cherche à unir la puissance politique à la sagesse spirituelle.
Même après la chute de l’empire achéménide face à Alexandre le Grand en 330 av. J.-C., le souvenir de Cyrus et de Darius continue d’habiter la mémoire iranienne. Leur modèle de gouvernement — tolérant, organisé et spirituel — inspire les dynasties suivantes et façonne l’idée que se font les Iraniens d’eux-mêmes : un peuple héritier d’une mission de civilisation.
L’histoire de la Perse antique n’est donc pas seulement celle d’un empire disparu, mais celle d’une manière de concevoir le pouvoir et l’humanité. Elle pose les bases de ce que l’Iran restera toujours : un pays fier de son passé, profondément moral, et conscient d’avoir un rôle particulier dans l’histoire du monde.
Au VIIᵉ siècle de notre ère, un événement bouleverse le destin de la Perse : la conquête arabe. En 651, les armées du jeune empire musulman battent…
LA PERSE RESISTE
Au VIIᵉ siècle de notre ère, un événement bouleverse le destin de la Perse : la conquête arabe. En 651, les armées du jeune empire musulman battent le dernier roi sassanide, Yazdgard III. Après plus de mille ans d’indépendance, la Perse tombe sous domination étrangère.
Mais contrairement à d’autres peuples conquis, les Iraniens ne disparaissent pas : ils vont absorber l’islam tout en préservant leur âme. Ce mélange entre tradition perse et foi musulmane va donner naissance à l’un des grands tournants de l’histoire du Moyen-Orient
La conquête arabe ne fut pas seulement militaire ; elle fut aussi culturelle et religieuse. L’islam s’impose peu à peu dans la région, la langue arabe devient celle du pouvoir, de l’administration et du savoir religieux. Pendant deux ou trois générations, la culture perse semble reculer.
Mais la résistance intellectuelle et artistique se manifeste vite. Dès le IXᵉ siècle, un mouvement de renaissance culturelle iranienne redonne vie à la langue persane, désormais écrite en alphabet arabe. Les poètes Ferdowsi, Saadi, Hafez ou encore Omar Khayyam redonnent fierté et éclat à cette identité. Leur poésie, empreinte de sagesse et de mysticisme, garde la mémoire d’une civilisation ancienne tout en parlant le langage nouveau de l’islam.
Ce retour du persan n’est pas anodin : il signifie que l’Iran a accepté l’islam, mais à sa manière. Il ne s’agit plus d’une soumission politique, mais d’une appropriation spirituelle. L’Iran devient musulman, oui — mais pas arabe. Cette distinction est essentielle et elle perdure encore aujourd’hui.
L’islam qui s’installe en Perse est d’abord sunnite, comme dans la majorité du monde musulman. Mais très vite, une autre lecture du message de l’islam trouve un écho particulier chez les Iraniens : le chiisme.
Pour comprendre pourquoi, il faut revenir aux origines du conflit : après la mort du prophète Mahomet en 632, les musulmans se divisent sur la question de sa succession. Les sunnites estiment que le chef de la communauté, le calife, doit être choisi par consensus. Les chiites, au contraire, pensent que seul un membre de la famille du Prophète — son cousin et gendre Ali, puis ses descendants — possède la légitimité spirituelle pour diriger les croyants.
En 680, cette querelle tourne au drame : Hussein, le fils d’Ali, se soulève contre le califat omeyyade. Il est massacré avec ses compagnons à Karbala, en Irak. Ce massacre, appelé le martyre de Karbala, devient le cœur symbolique du chiisme.
Pour les chiites, Hussein n’est pas seulement un homme : c’est le symbole éternel de la justice contre la tyrannie, du faible face à l’oppresseur. Chaque année, pendant la fête de l’Achoura, les fidèles commémorent sa mort par des processions, des prières et parfois des rituels de deuil spectaculaires.
Cette mémoire du martyre a profondément marqué la culture iranienne : elle a forgé une vision du monde où la souffrance peut être glorieuse, où résister à l’injustice est un devoir sacré. C’est cette idée — “mourir pour la vérité plutôt que vivre dans le mensonge” — qui, des siècles plus tard, inspirera la Révolution islamique de 1979.
Pourquoi le chiisme a-t-il trouvé un écho si fort en Iran ? La raison est autant psychologique que politique. Depuis la chute de leur empire, les Iraniens ont toujours vécu sous la domination de pouvoirs étrangers : Arabes, Turcs, Mongols… Le chiisme, avec son culte de l’opprimé, son respect des martyrs et sa méfiance envers les puissants, exprimait parfaitement le sentiment d’injustice historique du peuple iranien.
En même temps, le chiisme valorise la connaissance, la raison et la piété. Il accorde une place importante aux savants religieux, les oulémas, qui interprètent la loi islamique et guident la communauté. Cette tradition intellectuelle s’accordait bien avec le goût persan pour la réflexion, la théologie et la philosophie.
Ainsi, peu à peu, le chiisme devient non seulement une religion, mais une identité nationale de substitution. Être Perse, ce n’est plus seulement appartenir à une ancienne civilisation : c’est aussi être du côté d’Ali, de Hussein, des opprimés contre les tyrans.
Au fil des siècles, la Perse islamisée reste un foyer de culture et de savoir. Les dynasties turco-persanes — Samanides, Seldjoukides, Ghaznévides — puis les conquérants mongols comme Gengis Khan et Tamerlan — dominent tour à tour le territoire. Mais aucune de ces puissances n’efface complètement l’esprit iranien.
L’art, la poésie et la philosophie continuent de prospérer, souvent en langue persane, et influencent jusqu’à l’Inde moghole. La Perse reste un pays de lettrés, d’architectes, de mystiques.
Sous les apparences de l’islamisation, une autre vérité demeure : l’Iran n’a jamais cessé d’être lui-même. Sa langue, sa littérature, sa sensibilité spirituelle et sa conception du pouvoir en font un monde à part dans l’univers musulman.
L’islam y est devenu iranien, autant que l’Iran est devenu islamique. C’est cette fusion singulière — entre le feu ancien de Zoroastre et la flamme nouvelle de l’imam Hussein — qui a façonné la conscience nationale du pays.
Après des siècles de domination étrangère — arabes, turques, mongoles —, la Perse entre au XVIᵉ siècle dans une période de renaissance nationale. C’est l’époque où l’Iran redevient une grande puissance indépendante, avec une identité politique et religieuse propre.
Cette renaissance porte un nom : les Safavides. Et un homme : Shah Ismaïl Ier, fondateur de la dynastie et artisan d’un tournant qui va marquer l’histoire pour toujours. En 1501, un jeune chef guerrier de 14 ans, Ismaïl, issu d’un ordre religieux soufi, conquiert Tabriz et se proclame shah de Perse. Il fonde ainsi la dynastie safavide, qui régnera pendant plus de deux siècles.
Mais son geste le plus audacieux n’est pas politique : c’est religieux. Ismaïl décide de faire du chiisme duodécimain — la branche du chiisme qui reconnaît douze imams descendants d’Ali — la religion officielle de tout son empire. C’est une révolution. Jusque-là, la plupart des Iraniens étaient sunnites, comme leurs voisins. En imposant le chiisme, Ismaïl crée une identité religieuse proprement iranienne, distincte de celle du monde arabe. Ce choix, souvent brutal (les opposants sunnites furent persécutés), a des conséquences profondes :
Il donne à l’Iran une unité spirituelle autour du culte des imams et du souvenir du martyre de Karbala. Il trace une frontière religieuse durable avec l’Empire ottoman, sunnite, son grand rival. Ainsi naît une fracture géopolitique qui existe encore aujourd’hui : d’un côté, le bloc chiite, centré sur l’Iran ; de l’autre, le bloc sunnite, dominé alors par les Ottomans et aujourd’hui par l’Arabie saoudite.
Sous les Safavides, la Perse devient un État moderne et centralisé. Le shah est à la fois chef politique et protecteur de la foi. Les religieux chiites, appelés oulémas, obtiennent un rôle clé dans la société : ils enseignent, jugent, administrent les fondations pieuses. En échange, le pouvoir royal les protège et finance leurs institutions. Ce lien entre le trône et le clergé posera les bases du futur système iranien, où le religieux et le politique restent étroitement liés.
La capitale, d’abord Tabriz, est déplacée à Ispahan au XVIIᵉ siècle sous le règne du grand Shah Abbas Ier (1588–1629). C’est l’âge d’or de la civilisation safavide. Ispahan devient une ville splendide, surnommée “la moitié du monde”. On y construit des mosquées monumentales aux dômes turquoise, des ponts, des jardins, des caravansérails. Les coupoles et les faïences bleues d’Ispahan symbolisent à elles seules l’art perse : équilibre, symétrie, beauté spirituelle.
Le commerce prospère également. L’Iran se trouve sur la Route de la soie, entre la Chine, l’Inde et l’Europe. Des ambassades sont envoyées à Venise, Lisbonne ou Londres. Le pays exporte ses tapis, sa soie, ses épices, son art. Les voyageurs européens découvrent un royaume raffiné, discipliné et mystique.
Faire du chiisme la religion officielle a donné à l’Iran une cohésion rare dans le monde musulman. Mais cette unité religieuse a aussi eu un coût. La conversion des populations sunnites, parfois forcée, provoque des tensions dans les régions frontalières. Les Ottomans sunnites, eux, voient d’un mauvais œil cette montée du chiisme à leurs portes : les deux empires s’affrontent à plusieurs reprises pour le contrôle de Bagdad, du Caucase ou de la Mésopotamie.
À l’intérieur, les Safavides doivent trouver un équilibre entre le pouvoir des religieux et celui du roi. Le shah tire son autorité de sa lignée et de sa force, mais il doit composer avec les docteurs de la loi, gardiens de la légitimité spirituelle. Cette dualité — entre pouvoir politique et autorité religieuse — traversera toute l’histoire iranienne jusqu’à aujourd’hui.
Pour les Safavides, gouverner ne se résume donc pas à régner : il s’agit de protéger la vraie foi. En cela, l’empire perse devient un royaume sacré, presque messianique, où la politique sert la religion. Cette fusion entre foi et État fera plus tard la force, mais aussi la fragilité, de la République islamique.
À partir du XVIIIᵉ siècle, l’empire safavide s’affaiblit. Les invasions afghanes, les guerres contre les Ottomans et les Russes, les crises économiques et les luttes internes épuisent le royaume. En 1722, les Afghans s’emparent d’Ispahan : c’est la fin de la dynastie.
Mais l’héritage safavide, lui, ne disparaît pas. Désormais, le chiisme fait partie intégrante de l’identité iranienne. Il n’est plus une simple croyance : c’est le ciment national, le cœur moral du pays. Les grandes familles religieuses, les écoles théologiques, les pèlerinages aux sanctuaires des imams (à Qom, Mashhad, Najaf ou Karbala) deviennent des piliers de la vie iranienne.
Cet héritage survivra à toutes les épreuves : invasions étrangères, changements de dynastie, modernisation du XXᵉ siècle, révolution de 1979… À travers tout cela, l’Iran restera le pays des imams, la gardienne d’une foi singulière, enracinée dans son histoire et portée par un sentiment de mission spirituelle.
Au début du XXᵉ siècle, l’Iran est un pays affaibli. Les grandes puissances — la Russie tsariste au nord et l’Empire britannique au sud — se partagent son influence. Le pays reste pauvre, peu industrialisé, et son pouvoir central est fragile. Mais un homme va bouleverser cette situation : Reza Khan, un militaire ambitieux qui rêve de redonner à l’Iran la grandeur de la Perse antique.
En 1921, Reza Khan s’empare du pouvoir par un coup d’État. Quatre ans plus tard, il dépose le dernier roi Qadjar et se fait couronner sous le nom de Reza Shah Pahlavi. Son objectif : moderniser le pays à marche forcée, comme l’avait fait Mustafa Kemal Atatürk en Turquie.
Il veut un État fort, centralisé, laïc et moderne. Il réforme l’armée, construit routes, chemins de fer et universités, introduit l’école publique obligatoire, impose une justice civile indépendante des tribunaux religieux, et interdit le port du voile pour les femmes. Il fait également rebaptiser officiellement le pays : désormais, on ne parlera plus de la Perse, mais de l’Iran (1935), terme qui renvoie à son identité ancienne et à sa fierté nationale.
Reza Shah voit dans la religion un frein à la modernisation. Il limite le pouvoir du clergé chiite, réduit le nombre de séminaires religieux et impose une forme de sécularisation autoritaire. Il rêve d’un État moderne, à l’occidentale, mais enraciné dans la fierté perse.
Cependant, cette modernisation rapide a un prix : elle s’accompagne d’une forte répression politique. Les libertés sont limitées, la presse contrôlée, et les opposants arrêtés. Le peuple admire ses routes et ses écoles, mais craint son autorité.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, jugé trop proche de l’Allemagne nazie, Reza Shah est contraint d’abdiquer en 1941 par les Alliés. Son fils, Mohammad Reza Pahlavi, monte sur le trône : c’est le début d’une nouvelle ère.
Le jeune Shah hérite d’un pays stratégique : riche en pétrole, coincé entre les blocs soviétique et occidental. L’Iran devient vite un allié clé des États-Unis pendant la guerre froide. En 1953, un épisode crucial renforce ce lien : le Premier ministre Mohammad Mossadegh, figure nationaliste, avait voulu nationaliser le pétrole iranien, jusque-là exploité par les Britanniques.
Cette décision déclenche la colère de Londres et de Washington, qui organisent un coup d’État avec l’aide de la CIA pour le renverser. Le Shah, qui avait fui, revient triomphant au pouvoir — mais désormais, il dépend étroitement du soutien américain.
À partir des années 1960, Mohammad Reza Shah lance la “Révolution blanche”, un vaste programme de réformes sociales et économiques : réforme agraire, alphabétisation, droit de vote pour les femmes, industrialisation accélérée.
Officiellement, il s’agit de moderniser le pays et de réduire la pauvreté. Mais ces réformes sont imposées d’en haut, sans débat, et souvent au détriment des structures traditionnelles. La noblesse foncière, les commerçants des bazars et surtout le clergé chiite se sentent marginalisés.
Le régime devient de plus en plus autoritaire. La police politique, la SAVAK, formée avec l’aide du Mossad israélien et de la CIA, traque les opposants. L’Occident salue un allié stable et riche en pétrole, mais à l’intérieur, la colère monte : le fossé se creuse entre une élite occidentalisée et une population restée profondément religieuse.
Dans le cadre de ce rapprochement avec l’Occident, le Shah entretient dès les années 1950 d’excellentes relations avec Israël. Les deux pays ne partagent pas de frontières, mais ils ont un ennemi commun : le monde arabe nationaliste (celui de Nasser, en Égypte).
L’Iran fournit du pétrole à Israël, les deux coopèrent militairement et échangent des renseignements. Le Mossad aide même à former la police secrète iranienne.
Mais cette alliance, vue comme une trahison par les religieux, devient un symbole du dévoiement du régime. Pour les oulémas, le Shah est un “agent de l’Occident”, coupé de son peuple et de sa foi. Parmi ses détracteurs, un nom émerge : Ruhollah Khomeini, un religieux charismatique de Qom, connu pour ses prêches enflammés.
Dès 1963, Khomeini dénonce la corruption morale du pouvoir, l’humiliation nationale face aux puissances étrangères, et surtout la “soumission à Israël et aux États-Unis”. Il est arrêté, puis exilé, d’abord en Turquie, ensuite en Irak, enfin en France. Mais ses sermons circulent clandestinement sur des cassettes dans tout le pays. En silence, la révolution se prépare.
Dans les années 1970, l’Iran semble au sommet de sa puissance : les gratte-ciel s’élèvent à Téhéran, le pétrole coule à flots, et le Shah rêve d’un empire moderne. Mais sous cette façade prospère, la société étouffe. Les inégalités explosent, la répression s’intensifie, les traditions sont méprisées. Les religieux, les intellectuels, les ouvriers, les étudiants : tous, pour des raisons différentes, se retournent contre le régime.
En 1978, des manifestations massives éclatent dans tout le pays. La répression ne fait qu’enflammer la colère. En janvier 1979, le Shah quitte l’Iran pour l’exil. En février, l’ayatollah Khomeini rentre triomphalement à Téhéran après quinze ans d’exil. Des millions de personnes l’accueillent comme un prophète.
En quelques semaines, le régime impérial s’effondre : l’Iran devient une République islamique, unique en son genre. Khomeini instaure un système nouveau : la doctrine du “velayat-e faqih”, c’est-à-dire le “gouvernement du juriste-théologien”. Le pouvoir politique doit être exercé, au nom du peuple, par un religieux suprême — le Guide — garant de la loi divine.
L’État moderne imaginé par Reza Shah s’efface devant un État théocratique où la religion commande la politique. L’Iran rompt aussitôt avec Israël et les États-Unis, se proclame défenseur des opprimés et soutient la cause palestinienne.
La révolution islamique de 1979 n’est pas seulement un événement politique : c’est une réinterprétation de toute l’histoire iranienne. Khomeini se présente comme le continuateur des imams chiites martyrisés, héritier d’Hussein à Karbala. Mais en même temps, il ravive l’idée d’un Iran moralement supérieur, fidèle à sa mission spirituelle. En un sens, il réconcilie la tradition religieuse du chiisme avec la grandeur nationale héritée de Cyrus.
C’est cette fusion — entre foi, mémoire et nation — qui fait de l’Iran moderne un pays à part. En 1979, la boucle se referme : après avoir voulu ressembler à l’Occident, l’Iran choisit de redevenir lui-même, quitte à s’isoler. Mais la question demeure : comment concilier la fierté d’une civilisation millénaire avec les aspirations modernes de son peuple ?
« La vraie victoire, ce n’est pas de faire peur à ses ennemis, c’est de gagner le respect de ses voisins »
À la mort de Khomeini en 1989, la République islamique entre dans une nouvelle phase : celle de la stabilisation post-révolutionnaire. L’ayatollah Ali Khamenei, jusque-là figure de second rang, devient Guide suprême, tandis que la présidence revient à Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, symbole du pragmatisme économique. L’Iran sort exsangue de la guerre contre l’Irak (1980–1988), qui a coûté plus de 500 000 morts et ruiné ses infrastructures. Rafsandjani relance l’économie, ouvre partiellement le pays, et attire les capitaux asiatiques, notamment chinois.
Mais cette phase de reconstruction s’accompagne d’un contrôle idéologique strict : le régime garde la main sur la justice, les médias et les gardiens de la révolution (Pasdaran), devenus un État dans l’État. Ces derniers, riches de leurs réseaux économiques et militaires, incarnent la fusion entre pouvoir religieux et puissance sécuritaire.
Sous la présidence de Mohammad Khatami (1997–2005), l’Iran connaît un souffle réformateur : liberté de la presse, dialogue des civilisations, ouverture culturelle. Les jeunes Iraniens — près de 70 % de la population a moins de 30 ans — aspirent à plus de libertés. Mais les conservateurs bloquent les réformes : les tribunaux religieux censurent, les Gardiens du Conseil invalident les élections, les étudiants sont réprimés. La société iranienne, instruite et connectée, découvre sa propre dualité : celle d’un peuple moderne dans un cadre théocratique figé.
L’élection de Mahmoud Ahmadinejad en 2005 marque un retour à la ligne dure. Fils du peuple, ancien membre des Pasdaran, il prône la pureté révolutionnaire et la confrontation avec l’Occident. Son discours virulent contre Israël — qu’il qualifie d’« État à effacer de la carte » — relance les tensions. En parallèle, le programme nucléaire iranien, amorcé sous le Shah et relancé sous Khatami, devient un enjeu international majeur. Téhéran affirme son droit à l’énergie nucléaire civile ; Washington et Tel-Aviv y voient la quête d’une bombe. Les sanctions économiques s’intensifient, isolant encore davantage le pays.
En 2009, la « Révolution verte », née de la contestation de la réélection d’Ahmadinejad, secoue le régime. Des millions d’Iraniens descendent dans la rue pour réclamer la transparence électorale. Le mouvement, pacifique et largement féminin, est violemment réprimé. Mais il marque une rupture générationnelle : l’idéologie de Khomeini ne fait plus rêver. L’Iran entre dans l’ère de la dissidence numérique et du désenchantement religieux.
En 2013, l’élection du modéré Hassan Rohani rouvre une parenthèse d’espoir. Avec l’appui du ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, il négocie avec les grandes puissances un accord historique : le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), signé en 2015. En échange du gel du programme nucléaire, l’Iran obtient la levée partielle des sanctions. Les Iraniens célèbrent la fin de l’isolement, les investisseurs européens affluent.
Mais cet équilibre fragile s’effondre en 2018, lorsque Donald Trump retire unilatéralement les États-Unis de l’accord et rétablit des sanctions draconiennes. L’économie iranienne s’effondre, la monnaie se déprécie, l’inflation explose. Le régime durcit le ton : les Pasdaran renforcent leur emprise sur l’économie et la politique. L’Iran se tourne vers la Chine et la Russie, scellant en 2021 un accord stratégique de 25 ans avec Pékin.
En 2022, la mort de Mahsa Amini, une jeune femme arrêtée pour un voile jugé « mal porté », déclenche un mouvement de contestation sans précédent depuis 1979. Le slogan « Femme, Vie, Liberté » devient le cri d’une génération. Des dizaines de milliers d’Iraniens — femmes, étudiants, ouvriers — défient la police des mœurs, brûlent leurs voiles, réclament la fin du régime théocratique. Malgré la répression féroce, ces manifestations marquent une fracture irréversible : le peuple iranien, éduqué, connecté, refuse le paternalisme religieux.
La République islamique réagit par un double discours : d’un côté, la brutalité des forces de sécurité ; de l’autre, une tentative de conciliation nationale par des réformes superficielles. Le Guide suprême Khamenei, âgé de plus de 85 ans, prépare sa succession dans un climat de crispation. Les Pasdaran, désormais pilier du pouvoir, contrôlent le Parlement, l’économie et les médias. L’Iran apparaît comme un système verrouillé, mais fragilisé de l’intérieur.
Sur la scène internationale, Téhéran reste un acteur central : son influence s’étend du Liban (Hezbollah) à l’Irak, de la Syrie au Yémen. En 2024, la reprise des relations diplomatiques avec l’Arabie saoudite, sous médiation chinoise, marque un tournant géopolitique majeur au Moyen-Orient. L’Iran cherche moins la confrontation que la reconnaissance.
Mais à l’intérieur, la crise économique et la fuite des cerveaux minent le pays : plus de 5 millions d’Iraniens vivent à l’étranger, et la jeunesse rêve de liberté, de modernité, de normalité. L’Iran de 2025 est une société hautement éduquée, fière de son histoire millénaire, mais prisonnière d’un régime théocratique qui redoute sa propre jeunesse.
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