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4 NOVEMBRE 2025 (#122)

ÉCOLOS … GOGOS, COCOS OU BOBOS ?

Changer son alimentation, trier ses déchets, rouler en vélo, consommer bio et local… Autant de gestes sincères, portés par une urgence bien réelle. Personne ne doute de la bonne foi écologique. Mais trente ans après le premier Sommet de la Terre, le bilan est accablant… ..

Changer son alimentation, trier ses déchets, rouler en vélo, consommer bio et local… Autant de gestes sincères, portés par une urgence bien réelle. Personne ne doute de la bonne foi écologique. Mais trente ans après le premier Sommet de la Terre, le bilan est accablant : les émissions mondiales ont doublé, la biodiversité s’effondre, et les inégalités écologiques explosent.

Mais… ces écolos de bonne volonté, que sont-ils vraiment ? Des gogos, naïfs sincères manipulés par un capitalisme vert qui transforme leur angoisse en produits labellisés ? Des cocos, décroissants radicaux qui veulent vraiment casser le système et en finir avec la société de consommation ? Ou simplement des bobos, adeptes d’une écologie de vitrine qui sert surtout à briller en société sans rien remettre en cause ?

La pastèque écologiste est-elle encore verte à l’extérieur et rouge à l’intérieur, comme le prétendent ses détracteurs ? Ou est-elle devenue orange : cette couleur du libéralisme qui fait de chaque problème une opportunité de marché, de chaque culpabilité un nouveau segment commercial ?

FAITS & CHIFFRES Un Français émet en moyenne 9,2 tonnes de CO₂ par an, alors qu’il faudrait descendre à 2 tonnes… ..
FAITS & CHIFFRES

Un Français émet en moyenne 9,2 tonnes de CO₂ par an, alors qu’il faudrait descendre à 2 tonnes par personne pour respecter les objectifs climatiques de l’Accord de Paris (Carbone 4, « Faire sa part », 2019).

Un aller-retour Paris-Bali en avion génère environ 4 tonnes de CO₂, soit le double de l’empreinte annuelle d’un automobiliste français utilisant une voiture thermique moyenne (Ademe, « Base Carbone », 2023).

Manger bio réduit de moitié l’exposition aux pesticides, mais a un impact carbone limité, surtout quand les produits viennent de l’autre bout du monde (INRAE, « Agriculture biologique et climat », 2020).

Un avocat chilien peut consommer jusqu’à 1 000 litres d’eau et parcourir 10 000 km avant d’être consommé en France, questionnant la cohérence environnementale du « consommer sain » venu de loin (Water Footprint Network, « Avocado global average », 2018).

Trier ses déchets réduit seulement de 1 à 2 % l’empreinte carbone d’un foyer, bien moins que les postes liés à l’alimentation, au transport et au logement (Haut Conseil pour le Climat, « Réduire notre empreinte carbone », 2022).

Les 10 % les plus riches de la planète sont responsables de près de 50 % des émissions mondiales, tandis que la moitié la plus pauvre n’en émet que 10 % (Oxfam, « Inequality Kills », 2022).

La mode et l’habillement représentent jusqu’à 8 % de l’empreinte carbone mondiale, soit plus que tous les vols internationaux et le trafic maritime réunis (ONU Environnement, « Sustainability and Circularity in the Textile Value Chain », 2019).

En 2022, la Chine était responsable de 31 % des émissions mondiales de CO₂, contre 14 % pour les États-Unis, 7 % pour l’Union européenne, et moins de 1 % pour les pays les plus pauvres (Global Carbon Project, « Global Carbon Budget », 2023).

Un Américain moyen émet environ 14,9 tonnes de CO₂ par an, soit 7 fois plus qu’un Indien (2 tonnes), et presque le double d’un Européen (environ 7,5 tonnes) (Our World in Data, « CO₂ émissions per capita », 2023).

La production de viande bovine est responsable de 15 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, un niveau comparable à l’ensemble du secteur des transports (FAO, « Tackling Climate Change Through Livestock », 2021).

La Banque mondiale estime qu’environ 143 millions de personnes pourraient devenir des migrants climatiques internes d’ici 2050 en Afrique, en Asie du Sud et en Amérique latine, si aucune politique climatique n’est mise en place (World Bank, « Groundswell Report », 2021).

Selon l’IPCC, limiter le réchauffement à 1,5 °C exige de réduire les émissions mondiales de 45 % d’ici 2030, par rapport aux niveaux de 2010, ce qui nécessiterait des transitions « rapides, profondes et sans précédent » (GIEC – IPCC, « Special Report on Global Warming of 1.5°C », 2018).

Les data centers et le numérique sont responsables de près de 4 % des émissions mondiales de GES, un chiffre en forte croissance avec l’essor de l’intelligence artificielle et du streaming vidéo (International Energy Agency, « Data Centres and Data Transmission Networks », 2022).

En moyenne, 60 % de l’empreinte carbone d’un Européen provient de trois postes principaux : alimentation (25 %), mobilité (20 %) et logement (15 %), avec des variations selon les modes de vie (EEA – European Environment Agency, « Carbon footprint of European consumption », 2020).

Le marché mondial des produits « verts » et « durables » représente désormais plus de 150 milliards de dollars annuels, avec une croissance à deux chiffres portée par les segments premium (Nielsen, « Global Sustainability Report », 2023).
FLOP. Et puis il y a les bobos. Les bobos ont transformé l’urgence climatique en marqueur de distinction sociale. “L’écologie, c’est chic” est leur moto…
FLOP. Et puis il y a les bobos. Les bobos ont transformé l’urgence climatique en marqueur de distinction sociale. “L’écologie, c’est chic” est leur moto. Ça se voit. Ça distingue. Ça fait du climat une affaire de standing, de bon goût, de conscience supérieure. Le bobo roule en Tesla (60 000 euros, 2,5 tonnes, lithium extrait dans des conditions douteuses) pour aller faire ses courses dans une épicerie vrac branchée. Il habite un loft rénové « éco-responsable » dans un quartier gentrifié. Il part en week-end à Marrakech en low-cost (4 tonnes de CO₂ aller-retour) et compense en ne mangeant que du quinoa local le reste du mois. Il donne des leçons de sobriété énergétique tout en chauffant son 120 m² à 21°C. Cette écologie orange – couleur du libéralisme qui fait de tout un marché – est la plus hypocrite des trois. Elle n’est ni sincère comme celle des gogos, ni cohérente comme celle des cocos. Elle est purement cosmétique, performative, narcissique. Le bobo utilise l’écologie comme un nouveau code social pour se distinguer des classes populaires. Manger bio, rouler en vélo électrique, consommer « responsable » : autant de pratiques qui coûtent cher et excluent les pauvres. L’écologie devient ainsi un marqueur de classe, le nouveau luxe des élites urbaines éduquées. Plus grave : cette écologie de vitrine masque les vraies inégalités. Pendant que le bobo donne des leçons de tri sélectif, son épargne est investie dans des fonds qui financent les énergies fossiles. Pendant qu’il critique le SUV du voisin, il multiplie les escapades en avion. Pendant qu’il s’offusque de la surconsommation des autres, il fait partie des 10 % les plus riches qui émettent 50 % des émissions mondiales. Le bobo a trouvé la formule magique : avoir l’air écolo sans rien changer à son niveau de vie privilégié. Mieux : transformer son privilège en vertu. Faire de son pouvoir d’achat élevé (qui lui permet d’acheter bio, local, durable) une preuve de conscience supérieure. Culpabiliser les classes populaires qui prennent leur voiture (parce qu’elles n’ont pas le choix) tout en s’octroyant le droit à des vacances lointaines (parce qu’elles le méritent bien). Cette écologie orange est objectivement la plus dangereuse des trois. Elle désamorce toute contestation réelle en donnant l’illusion d’un changement. Elle privatise la responsabilité écologique, transforme un enjeu politique en affaire de lifestyle, et permet aux structures de pouvoir de continuer tranquillement pendant que l’élite se donne bonne conscience.
FLIP. Les gogos sont les idiots utiles du capitalisme vert La sincérité ne fait pas la lucidité. Les gogos sont de bonne foi… ..
FLIP. Les gogos sont les idiots utiles du capitalisme vert

La sincérité ne fait pas la lucidité. Les gogos sont de bonne foi, on ne peut leur enlever ça. Ils trient consciencieusement, achètent bio, roulent à vélo, calculent leur empreinte carbone. Ils croient vraiment qu’en consommant différemment, ils vont sauver la planète. Touchant. Mais objectivement inefficace.

Car que font-ils réellement ? Ils alimentent un gigantesque marché du « vert » qui pèse plus de 150 milliards de dollars. Ils achètent des vélos électriques à 3 000 euros, des vêtements en fibres naturelles certifiées à prix d’or, des superaliments exotiques en vrac. Ils ont simplement déplacé leur pouvoir d’achat vers des produits estampillés durables, souvent plus chers, créant ainsi une nouvelle croissance économique – cette même croissance dont on sait qu’elle est directement corrélée aux émissions de CO₂.

Le gogo roule fièrement à vélo pour aller chercher des graines de chia bio venues du Pérou. Il trie méticuleusement ses déchets (effet : 1-2 % de réduction d’empreinte) mais change de smartphone tous les 18 mois. Il achète un avocat chilien qui a consommé 1 000 litres d’eau et parcouru 10 000 km, mais se félicite qu’il soit certifié bio.

Cette écologie-là est devenue le rêve de tout directeur marketing : un consommateur culpabilisé, prêt à payer une prime morale sur chaque achat, et qui ne remettra jamais en cause les structures économiques qui produisent le désastre. Le greenwashing est devenu une industrie florissante. Pendant que les gogos débattent de l’empreinte carbone de leur yaourt, les vrais pollueurs – industrie fossile, transport maritime, finance carbone – continuent tranquillement leur business, ravis que l’attention soit détournée.

Résultat concret après trente ans de petits gestes ? Les émissions globales ont doublé. La biodiversité s’est effondrée. Les inégalités écologiques ont explosé. Mais au moins, on se sent mieux. On a fait sa part. On a acheté vert…

Le gogo sincère est objectivement le parfait consommateur du capitalisme tardif : il achète plus cher, se sent vertueux, et ne dérange personne au sommet. Cette écologie verte ne sauvera rien. Elle ne fait que repeindre en vert un modèle économique inchangé.
FLAP. Les cocos pensent que seule la rupture systémique fonctionne. Face à l’écologie de supermarché, les cocos ont au moins le mérite de la cohérence…
FLAP. Les cocos ont compris que seule la rupture systémique fonctionne

Face à cette écologie de supermarché, les cocos ont au moins le mérite de la cohérence. Ils ont compris que le problème n’est pas de consommer « mieux », mais de consommer moins. Radicalement moins. Que la croissance verte est un oxymore. Que le capitalisme et l’écologie sont incompatibles par nature.

Les cocos ne s’embarrassent pas de demi-mesures : ils prônent la décroissance, la sobriété forcée, la fin du règne de la marchandise. Pas de voiture, même électrique. Pas d’avion, jamais. Pas de smartphone dernier cri. Rupture avec le consumérisme, réduction drastique du niveau de vie matériel, relocalisation totale, autosuffisance.

Objectivement, ils ont raison sur le diagnostic. L’Histoire le montre : aucune société n’a jamais réduit ses émissions sans réduire sa consommation d’énergie et de ressources. Tous les gains d’efficacité sont systématiquement annulés par l’effet rebond. La voiture consomme moins ? On roule plus. L’ampoule consomme moins ? On en met partout. Le seul levier qui fonctionne vraiment est la sobriété : moins de biens, moins de déplacements, moins de confort matériel.

Les cocos pointent aussi justement les rapports de classe : les 10 % les plus riches émettent autant que les 50 % les plus pauvres. L’écologie authentique est incompatible avec la préservation des inégalités. Elle exige une redistribution massive, une limitation des richesses, une planification démocratique de la production.

Cette écologie rouge est politiquement cohérente. Elle identifie les structures de pouvoir, nomme les responsables, refuse le confort moral des solutions individuelles. Elle comprend que le changement ne viendra pas des paniers bio mais des bulletins de vote, des grèves, de la régulation, de la contrainte collective.

Le problème ? Cette radicalité fait peur. Elle implique des renoncements massifs que peu sont prêts à accepter. Elle suppose une révolution culturelle, économique et politique dont l’Histoire montre qu’elle n’advient que dans le chaos. Les cocos ont raison en théorie, mais leur projet reste utopique en pratique. Résultat : ils demeurent ultra-minoritaires, enfermés dans leur radicalité, incapables de mobiliser au-delà de leur cercle de convaincus.

« L'écolo bobo trie ses déchets avec la même application que l'aristocrate d'Ancien Régime comptait ses quartiers de noblesse : pour se distinguer du vulgaire tout en conservant ses privilèges » Voltaire

POUR ALLER PLUS LOIN. Verte, rouge ou orange, l’écologie cherche son chemin. Depuis trente ans, l’écologie occidentale change de couleur sans trouver sa ligne…
POUR ALLER PLUS LOIN…Verte, rouge ou orange, l’écologie cherche son chemin. Depuis trente ans, l’écologie occidentale change de couleur sans trouver sa ligne. Verte d’abord, candide et consumériste, persuadée qu’un tote bag et une trottinette suffiraient à sauver la planète. Rouge ensuite, utopique et revendicative, rêvant d’une révolution sociale introuvable. Orange enfin, devenue posture chic pour classes urbaines rassurées. Pendant ce temps, les émissions mondiales ont doublé. Trente ans d’efforts pour un seul acquis : la prise de conscience. C’est un début. Il faut maintenant passer à la solution, la vraie.

La physique, elle, ne négocie pas. Pour tenir l’Accord de Paris, il faut passer de 9,2 tonnes à 2 tonnes de CO₂ par habitant. Ni tri sélectif, ni bio, ni SUV électrique n’y suffiront. Ce n’est pas une question de forme, mais de fond : que produit-on, comment, et pourquoi ?

L’erreur majeure fut de confondre écologie et transition énergétique, de traiter les effets sans changer les causes. On a cru que l’innovation remplacerait la contrainte, que le solaire et l’éolien offriraient une abondance “verte”. Mais sans stockage massif, ces promesses reposent littéralement et physiquement sur du vent. Pendant ce temps, la France a affaibli son atout le plus décarboné : le nucléaire. Au nom de la transition, elle a troqué son efficacité contre une dépendance au gaz russe, aux matières et aux matériels chinois.

Des voix lucides émergent. Bill Gates, dans une tribune récente, appelle à sortir du catastrophisme : le défi n’est pas d’interdire, ni de transitionner mais de modifier nos usages tout en garantissant énergie et développement aux plus vulnérables.

La voie d’une sobriété lucide s’impose : ni décroissance punitive, ni greenwashing mondain. Produire ce qui est nécessaire, éliminer le superflu, viser l’efficience plutôt que la vertu. Des voitures légères plutôt que des tanks électriques, des logements isolés plutôt que des passoires subventionnées, une alimentation locale plutôt qu’un bio mondialisé.

Faire de la sobriété une source d’avantage compétitif pour notre pays est une priorité éminemment stratégique et politique. Un projet désirable qui veut faire de notre pays non plus un modèle social, mais un modèle d’avenir — un modèle d’efficacité sobre, qui fait de la mesure l’exigence première de ses usages, de ses choix de consommation, de sa production et de ses investissements collectifs.

Plusieurs pays l’ont prouvé : selon l’Agence internationale de l’énergie, transformer la demande est aussi crucial que passer aux renouvelables. L’Allemagne, la Suède ou l’Irlande ont réduit leur intensité énergétique tout en maintenant la croissance. Sobriété + efficience = combinaison gagnante.

Au fond, la transition ne se joue pas dans les technologies mais dans les usages. Il ne suffit pas de changer le matériel, il faut changer les comportements, les priorités, les finalités. C’est ce déplacement culturel — plus que technique — qui fera de la sobriété non une punition morale, mais une source de puissance.

L’écologie du futur ne sera ni une couleur, ni une morale : ce sera une stratégie. Une politique d’efficacité nationale, fondée sur la sobriété comme levier de puissance. Produire moins, mais mieux ; consommer moins, mais plus intelligemment ; investir moins, mais plus utilement.

La vraie souveraineté, c’est de consommer moins d’énergie pour produire autant de valeur.

La première des énergies propres est celle qu’on ne gaspille pas.

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